Le Brexit, initié en 2016 sur des considérations politiciennes, voté à une courte majorité après une campagne de mensonges et de désinformation est-il à ce jour devenu inéluctable, en tant que représentation d’une ferme volonté populaire ? Rien n’est moins sûr, car à l’époque, les électeurs ne disposaient pas d’informations sur les conséquences probables d’une sortie abrupte du Royaume-Uni – le «no deal» – de l’Union européenne. En outre, les intérêts spécifiques d’unités territoriales comme l’Irlande du nord et l’Ecosse, qui avait majoritairement voté pour rester dans l’Union, n’ont pas été pris en compte. Le Parlement britannique a rejeté à trois reprises le projet d’accord de sortie négocié entre le Gouvernement de Theresa May et l’Union européenne. En même temps, le Parlement britannique a rejeté un «no deal Brexit» qui, selon les études internes du Gouvernement britannique, entraînerait des conséquences graves sur l’économie du pays.
En effet, les conséquences d’un Brexit comportant le retrait du marché unique sont multiples : sur la stabilité monétaire, l’état d’approvisionnement du pays, la rentabilité de l’investissement et la croissance économique. La perte du marché unique ne saurait être compensée par la faculté de conclure des zones de libre-échange avec des pays tiers, car le Royaume-Uni, sans la dimension européenne, pèsera peu face aux géants commerciaux, comme les Etats-Unis et la Chine. Il sera donc amené à renégocier seul l’ensemble des accords commerciaux déjà conclus par l’Union Européenne. S’y ajoute l’affaiblissement des intérêts européens, y compris ceux du Royaume Uni, en matière de défense et de sécurité intérieure.
Suite au débat clivant sur le Brexit, le RU se trouve dans une grave crise constitutionnelle où le rôle du Parlement a été bafoué par une tentative d’ajournement illégal à un moment crucial des négociations. Il y a des raisons de craindre que la volonté du Parlement exprimée par la loi Benn (obligation pour le Gouvernement, à défaut d’accord, de demander une nouvelle extension du délai de sortie) soit contournée en dernière minute. Dans cette situation de conflit entre le Gouvernement et le Parlement, la décision de la Cour Suprême britannique d’annuler un ajournement du Parlement considéré comme abusif, constitue un pas important pour la défense de la règle du droit et des principes constitutionnels.
La question de l’Irlande reste très préoccupante – même après les dernières propositions du Gouvernement britannique visant à éviter la résurgence d’une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Au delà de la faisabilité des ces propositions, la fragilité de la situation politique et le danger pour le processus de paix resté inachevé, sont des éléments incontournables à prendre en considération.
A qui bénéficierait le Brexit ? Les perdants seront les travailleurs et la classe moyenne, menacés par la perte de leur emploi ; la récession et l’inflation. Les gagnants par contre seront ceux qui cherchent à se débarrasser de la réglementation européenne pour s’enrichir encore davantage, au détriment des autres.
Mais au-delà de l’impact économique, ce qui est en jeu ce sont les valeurs qui doivent gouverner nos pays et qui incluent la liberté, la démocratie, l’égalité des chances, la solidarité, ainsi que la règle de droit. Ces valeurs sont communes à l’Europe et ne souffrent aucun retrait. Dans le passé, le Royaume-Uni a sauvé l’Europe à un moment sombre de son histoire et apporté son apport à la construction d’un nouvel édifice. En retour, il a su tirer de grands bénéfices de l’Europe en termes de paix, de sécurité, de progrès et de solidarité.
Un Brexit par défaut, par lassitude ou par chantage ? Rien de pire. Pour les pays qui désirent poursuivre et même renforcer le processus d’intégration, sur la base de valeurs partagées, les limites du compromis sont atteintes. En ce qui concerne le Royaume-Uni il n’y a pas d’autre solution que d’appeler les électeurs à se prononcer de nouveau, cette fois-ci en connaissance de cause.
Signé : Jean-Claude Houdoin, Président du Mouvement européen Paris ; Thibaud Harrois, maître de conférence en civilisation britannique, Université Sorbonne-Nouvelle ; Rainer Geiger, ancien haut fonctionnaire, Allemagne, ancien professeur en droit économique international, Université de Paris-I Panthéon-Sorbonne ; Emma Bell, professeure irlandaise en France ; Jonathan Fryer, écrivain et conférencier, parti libéral démocrate, RU ; Mark Paterson, Président, Union Fédérale, RU.