La volonté d’« avancer sur la voie d’une union plus politique »[1], au travers du traité de Maastricht et tel que poursuivi par le traité de Lisbonne, a profondément modifié la nature de la construction européenne. D’un fonctionnement intergouvernemental, le processus de communautarisation a permis le renforcement des pouvoirs du Parlement européen et une fédéralisation progressive vers une fédération multinationale. La mécanique institutionnelle a dès lors évolué sous une forme proche de celle d’un Etat démocratique. Il est également possible de voir ici une approche fédérale dans la relation établie directement entre l’Union européenne (UE) et les citoyens.
Si l’Union peine à s’affirmer et à s’avouer comme une Europe fédérale, la souveraineté étatique de ses membres apparaît comme l’une des explications qui éclaire à la compréhension de la nature juridique de l’intégration européenne : un compromis. Cette logique incomplète est illustrée dans le déroulement d’une citoyenneté en demi-teinte, entre une volonté d’extension du champ d’application du droit européen et des réticences à reconnaître des règles attributives transcendant les lois nationales. La symbolique forte apporté par la citoyenneté de l’Union, dans sa logique d’égalité, apporte indéniablement une dimension constitutionnelle certaine à l’ordre juridique européen, dès lors qu’il est un droit subjectif tourné vers la reconnaissance, la protection et l’implémentation de droits individuels[2]. Néanmoins, cet ordre constitutionnel nouveau qu’est l’UE conserve une originalité, une singularité, en comparaison d’ordres juridiques stato-nationaux. La réalisation du statut personnel des ressortissants des Etats membres ne s’est pas faite dans un cadre constitutionnel, mais elle a été envisagée au regard du droit international public : d’un traité destiné initialement à « assurer le fonctionnement du marché intérieur »[3] en prévoyant des « libertés fondamentales »[4] de circulation des marchandises[5], des capitaux[6], des services[7] et des travailleurs[8].
La dynamique engagée dans l’élaboration d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ) qui vise à offrir aux citoyens européens un espace sans frontiéres intérieures, dans le souhait de « préserver l’acquis de Schengen, tel que développé depuis l’entrée en vigueur du traité d’Amsterdam »[9], apparaît comme un véritable moteur dans la formation de l’Europe des citoyens, d’un territoire unifié et d’un espace public commun. Le projet d’ELSJ intègre pleinement cette idée de constitutionnalisme progressif vers un espace étatique apparenté.
« La citoyenneté de l’Union présuppose l’existence d’un lien de nature politique entre les citoyens européens, bien qu’il ne s’agisse pas d’un lien d’appartenance à un peuple. Ce lien politique unit, au contraire, les peuples d’Europe. Il repose sur leur engagement mutuel d’ouvrir leurs communautés politiques respectives aux autres citoyens européens et de construire une nouvelle forme de solidarité civique et politique à l’échelle européenne. Il n’exige pas l’existence d’un peuple mais il est fondé sur l’existence d’un espace politique européen, duquel émergent des droits et des devoirs. »[10]
La citoyenneté de l’Union, en tant que sujet et vecteur de cet espace, ne peut être conçus autrement et indépendamment « d’une certaine forme de fédéralisme »[11], notamment dans la relation directe établie entre l’Union et ses citoyens via ce « statut fondamental des ressortissants des Etats membres »[12].
Si l’UE est classiquement définie comme une organisation sui generis, la nature fédérale du processus d’intégration ne peut être écartée. La construction européenne repose, depuis le traité de Rome, sur l’union des nations d’Europe, chacune conservant son identité politique propre. Cette spécificité tient pourtant à ce que l’Union emprunte à la fois aux caractéristiques des organisations internationales classiques et aux systèmes fédéraux. Au regard des catégories juridiques connues, l’organisation nouvelle des pouvoirs, comme outil de la souveraineté nationale, au sein de l’Union pose nécessairement des interrogations quant à la nature de la force fédérative européenne. Cependant si l’UE n’est ni une confédération, ni une fédération, il importe de définir sa nature et poser un qualificatif au regard de ses objectifs et missions, mais aussi sous le prisme du statut de citoyen.
L’UE est une entité fédérale en ce qu’elle rassemble les trois dimensions présentes dans un tel système organisant spécialement les pouvoirs et compétences[13] . Il s’agit, par ailleurs de constater la réalité des aspects, que sont une démocratie supranationale fondée sur une double légitimité, une liberté de circulation et des frontières extérieures communes[14].
La construction européenne ne peut être réduite à un fédéralisme super-étatique, ni à une fédération d’Etats. Ces deux modèles sont corrects au regard des règles et du fonctionnement institutionnel européens, mais sont probablement incomplets er inadaptés à la spécificité de l’intégration ancrée indéniablement dans la diversité européenne : diversité culturelle, diversité politique, diversité linguistique, diversité multi-nationale…
In varietate concordia.
La structure constitutionnelle de l’UE, dans son indépendance et son existence même, est le théâtre d’une élévation progressive de la coopération juridictionnelle. Le refus porté par la Cour de justice d’unir les deux Europe témoigne d’une vision constitutionnelle durable[15] qui se veut dépasser les réflexions étatiques pour engager une pensée de l’Europe. Un constitutionnalisme cosmopolite[16] pourrait être en construction mais, à ce terme de « cosmopolite », il est probablement préférable d’utiliser celui de « multinational », comme un reflet de la diversité européenne existante. L’UE est une Europe fédérale, une fédération d’Etats et une fédération de citoyens qui s’ignore ou se tait : une fédération multinationale.
La fédération multinationale se caractérise par une intégration politique et juridique, indépendante et distincte du système international, créant un ordre juridique nouveau et entièrement assimilable à une organisation fédérale classique. La volonté initiale que fut de maintenir la paix sur le continent par une volonté de construction, sans imposition d’une identité spécifique, et dans le respect de toutes les identités nationales, donne naissance à cette dimension multinationale de l’Union. L’aspect multinational doit être entendu ici en sa définition la plus primaire, comme englobant plusieurs nations. Il s’agit de considérer une union durable et choisie, matérialisée par un contrat constitutionnel qui cherche à trouver le bon équilibre entre la conservation d’une diversité nationale et une dynamique fédérative.
L’Union européenne, en tant que fédération multinationale, a bâti les bases d’une citoyenneté transnationale, au-delà de nationalités variées, comme un liant à la communauté européenne, et conformément à la résolution des États membres d’« établir une citoyenneté commune aux ressortissants de leurs pays »[17].
[1] Vassilios Skouris, « La citoyenneté européenne devant la Cour de justice de l’UE », La citoyenneté européenne – Bénédicte Fauvarque-Cosson, Etienne Pataut et Judith Rochefeld (dir.), collection TEE, 2011, p. 89.
[2] CJCE, 5 fév. 1963, Van Gend en Loos, aff. 26/62, point 3.
[3] Article 26 TFUE.
[4] CJCE, 11 juil. 2002, D’Hoop, aff. C-224/ 98, point 29 ; CJCE, 2 oct. 2003, Garcia Avello, aff. C-148/02, point 24.
[5] Article 28 & 29 TFUE.
[6] Article 63 à 66 TFUE.
[7] Article 56 à 62 TFUE.
[8] Article 45 à 48 TFUE.
[9] Protocole n°19 sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’UE.
[10] Concluions de l’avocat général Maduro, 30 sept. 2009, Rottmann c/ Freistaat Bayem, aff. C-135/08, point 23.
[11] Charlotte Denizeau, « La citoyenneté européenne : une valeur en quête d’identité », Conférence-débat sur la citoyenneté, Cycle « Les valeurs du droit public », 14 fév. 2013.
[12] CJCE, 20 sept. 2001, Grzelczyk, aff. C-184/99, point 31.
[13] Une dimension verticale, une dimension horizontale et une distinction entre l’intérieur et l’extérieur de l’Union.
[14] Règlement (UE) 2016/399, du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, dit Code Frontières Schengen ; Règlement (UE) 2016/1624, du Parlement européen et du Conseil, du 14 sept. 2016, relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes.
[15] CJUE, 18 déc. 2014, Avis 2/13.
[16] Ulrich Beck, « Understanding the Real Europe », Dissent Mag. (50 n°3), 2003, pp. 32-38.
[17] Préambule du Traité sur l’UE.