Duel Amical : « il y a une méconnaissance totale de la culture politique de chaque pays européen »

La plateforme d’actualité Duel Amical confronte en plusieurs langues les points de vue sur des sujets de polémique au sein des Etats membres de l’Union. Une manière d’illustrer le pluralisme dans un contexte international qui tend à simplifier les termes du débat public chez nos voisins européens.

Manifestation à Budapest

Manifestation à Budapest via Habeebee sur flickr

Ákos Bence Gát a créé Duel Amical en 2011 et développé depuis 2012 une association en croissance constante. Eszter Szilágyi et Laura Keruzore ont toutes deux repris puis passé le flambeau à travers leurs études à Sciences Po. Rencontre.

Etudiant hongrois à Sciences Po, Bence lance Duel Amical durant son expérience Erasmus à Barcelone. « L’idée m’est venu quand j’ai constaté la perception espagnole de l’actualité française et hongroise. » L’objectif ? « En premier lieu, creuser des débats d’actualités nationaux avec des points de vue contradictoires. Et puis traduire ces ‘’Duels’’ pour ouvrir des questions nationales à un public plus large en Europe ».

« Ce format de débat permet de donner une image objective et fidèle. En additionnant deux articles, on a un résultat plus objectif » analyse Bence, qui déplore « une méconnaissance totale de la culture et de l’identité politique de chaque pays au sein du continent européen ».

« On généralise les décisions politiques à l’état d’esprit de la population »

Laura complète de son point de vue franco-hongrois. « J’ai toujours vu l’actualité hongroise à travers des journaux français. Sur la réforme de la constitution en 2013 notamment. Et je me rends compte qu’on a une idée figée de l’opinion hongroise. Sur la crise des migrants, on voit la politique gouvernementale sans connaître les débats internes qui animent le pays. » De son point de vue, Budapest et les Hongrois plus largement son majoritairement pro-européens, « les sondages le montrent ». Selon Eurostat en 2017, 70% de la population déclare se sentir citoyen de l’Union européenne, ce qui la situe la Hongrie dans la moyenne des Etats membres.

« On généralise les décisions politiques à l’état d’esprit de la population. On ne voit pas les mouvements de jeunesse, les débats qui animent le pays. On se dit ‘’c’est à l’est, Orban sera élu, et puis c’est tout’’ » résume-t-elle à la veille des élections législatives du 8 avril en Hongrie. Le scrutin a vu le Fidesz du Premier Ministre Viktor Orban l’emporter largement, destinant ce dernier à un troisième mandat à la tête du pays.

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Un « double standard » entre l’Est et l’Ouest en Europe ?

S’il décrit la Hongrie « différemment », Bence s’accorde avec Laura sur le sentiment d’appartenance à l’UE. « En Hongrie, la question de quitter l’Europe ne se pose pas ». Par contre, il pointe « une volonté de devenir un membre ‘’égal’’ aux autres Etats membres de l’Union européenne ».

Les pays d’Europe centrale et orientale ressentent l’existence d’un « double standard » au sein de l’Union. « Si une législation – sur les médias ou l’immigration – est permise en France, pourquoi entend-t-on tant de critiques sur la démocratie en Hongrie lorsque nous faisons de même. »

A titre d’exemple, Bence cite la loi sur les médias de 2011. « Il y avait des éléments législatifs qui étaient mis en œuvre dans d’autres pays de l’UE. Pourtant on disait ‘’il faut être plus vigilant sur le respect des valeurs démocratiques en Europe centrale’’ ». Des propos repris selon lui dans le discours du vice-président de la Commission européenne Franz Timmermans lorsque ce dernier a annoncé l’activation de l’article 7 du Traité de l’Union européenne contre la Pologne fin 2017.

« Dès qu’il y a de la démocratie, tout va bien»

« Il faut toujours avoir un point de vue global, prendre du recul, avant d’émettre un jugement sur l’actualité d’un pays. Je sais combien c’est facile d’interpréter une situation politique sur la base de préjugés » analyse Eszter.

« Pour moi il est important de comprendre qu’en Hongrie, il y a du débat. Ce débat anime la vie démocratique et dès qu’il y a de la démocratie, tout va bien » complète Bence. « En 2011, quand les critiques contre le Gouvernement de Viktor Orban ont démarré, la population s’est sentie révoltée, insultée. »

« Sur de nombreux points, la Hongrie est un des bons élèves de l’Union européenne. Depuis 2012/2013, nous respectons les critères de Maastricht en termes de déficit budgétaire. La dette publique est en train de diminuer, passant de 80% à 70%. La croissance économique est stable, dans un pays qui était en 2010 dans une situation proche de celle de la Grèce sur le plan financier. » Sur la base de ces efforts, la population « prend mal les critiques européennes ».

Plus largement, les acteurs de Duel Amical pointe le besoin d’accroître l’interconnaissance entre les peuples européens. « Il faudra du temps. C’est pour cette raison que les gens se disent que notre projet a du sens » conclut Bence.