En marge de la marche pour les 60 ans du Traité de Rome en mars 2017 – Illustration via Jon Worth sur Flickr
L’Union est fondée juridiquement sur une communauté de valeurs communes : il s’agit des valeurs libérales et démocratiques telles qu’héritées des Lumières et de notre Histoire. Le respect de la dignité humaine, les droits fondamentaux, les libertés fondamentales, l’État de droit, la démocratie sont autant de valeurs qui conditionnent l’appartenance au processus de nature fédérale de l’intégration européenne. Alors qu’un virage fédéral n’est peut-être pas une solution réalisable dans l’immédiat, une convergence sur la voie fédérative de tous les États membres est nécessaire. Les institutions européennes ont la responsabilité d’offrir des réponses efficaces, tandis que les chefs d’État et de gouvernement en ont le devoir. Cette question revêt une importance cruciale pour l’ordre juridique et politique de l’Union et pour la construction d’un espace public européen. Les solutions ne peuvent cependant pas être importées directement par transposition de systèmes fédéraux existants, ou importées d’expériences passées d’autres organisations internationales. L’Union européenne connaît une spécificité qu’il convient de préserver par des solutions uniques qui reconnaissent et respectent l’équilibre constitutionnel entre l’Union et les États membres, mais toujours sur la voie fédérative.
Un véritable combat culturel
En premier lieu, les institutions européennes doivent utiliser pleinement les procédures et les cadres existants. Les mécanismes de sanctions sont visés mais cela inclut aussi le très politique article 7, relatif au risque de violation clair des valeurs européennes, et son objectif à la fois préventif et juridique. La première étape consiste d’abord à reconnaître l’ampleur des mouvements politiques remettant en cause le socle de valeurs européennes : il s’agit d’un véritable combat culturel. La crise est celle des démocraties nationales. Elle prend corps dans des mouvements politiques contestataires qui préférerait écarter les éléments d’unité entre les nations au profit d’une diversité européenne, réelle et précieuse, mais absente dans de nombreux cas de figure. C’est précisément une combinaison des instruments politiques et juridiques disponibles qui permettrait de poser les bases d’une discipline des États membres vis-à-vis de l’Union en la matière. L’ensemble des institutions européennes doivent participer à ce débat et au contrôle du respect des valeurs communes. Le renfort des dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union peut soutenir des actions contre un État fautif. Ces changements ne nécessitent pas nécessairement un saut fédéral. L’Union pourrait aussi créer un système de surveillance sous la forme d’un « tableau de bord des valeurs », ou conditionner les fonds structurels au respect des valeurs de l’article 2, relatif aux valeurs communes de l’Union… Pourtant, le défi présent exige un constitutionnalisme non pas uniquement juridique et doctrinal, mais également sociétal et culturel. Un constitutionnalisme pouvant être alors qualifié de complet exige un saut fédéral. Le fédéralisme peut être une réponse, sans doute la plus efficace, à cette crise des valeurs européennes, à la crise des démocraties nationales.
Intégrer une véritable dimension européenne à l’éducation et aux politiques culturelles
Le combat pour les valeurs de la démocratie libérale est noble. Mais il est aussi nécessaire. La clé de sa réussite réside dans les politiques culturelles et d’éducation. Le manque de connaissances, le manque de fierté et de rattachement tant au statut de la citoyenneté de l’Union, qu’au patrimoine culturel et spirituel européen constituent des faiblesses notoires face aux menaces d’idéologies illibérales extérieures. Les programmes d’éducation des États membres doivent être exigeants et de qualité. L’introduction d’une véritable dimension européenne aux enseignements de l’éducation primaire et secondaire n’est plus une option : un accent mis sur l’histoire et la culture, la richesse de la diversité européenne mais aussi ses racines et valeurs en commun, voilà une piste intéressante. C’est le rôle des États de porter un projet comme celui-ci, il en va de leur responsabilité. Il sera cependant difficile de concilier de tels engagements avec des positionnements politiques sévères sur la construction européenne, si ce n’est autoritaires bien que ce terme soit trop fort en ce qui concerne les États européens aujourd’hui. L’on pourrait cependant parler d’une Europe des nationalismes, d’une Europe des égoïsmes qui ne peut servir l’intérêt des citoyens.
Ensuite, l’on doit prendre en considération que cette crise des valeurs dans l’Union ne ressemble pas aux obstacles économiques rencontrés dans le passé, ou des désaccords politiques sur l’avenir du continent. Il s’agit d’une problématique des raison d’être de l’Union européenne, de son récit, ou des attentes qu’elle suscite. Des institutions qui seraient capable d’agir efficacement, et de mener le combat de défense des valeurs européennes, seront celles d’une Europe fédéralisée. Elle le fait déjà dans sa politique extérieur. La crise aujourd’hui est à l’intérieur. Il ne sera pas facile de relever ce défi car il nécessite une introspection du cœur de l’Europe, de ce qu’elle est et de ce qu’elle n’est pas. C’est un choix certain qui devra être effectuer : la sauvegarde de nos valeurs et principes, ou la dérive vers l’illibéralisme et l’autoritarisme. Ce qui est actuellement fait est insuffisant, le chemin emprunté est d’ailleurs parfois éloigné de toutes nos valeurs communes à l’image de la gestion des flux migratoires et de l’accueil des réfugiés sur le continent. L’une des clés sera de trouver une élite politique européenne qui puisse se saisir de ce discours, de le porter avec constance, d’une manière audible et ambitieuse. Le discours politique sur le projet européen ne peut se restreindre à un jargon technique. L’Europe doit avoir son récit, sa vision et ses débats.
Enfin, la crise des démocraties nationales joue d’un sentiment d’appartenance faible des citoyens de l’Union à la communauté européenne, ou même inexistante. Des solutions simples ou rapides n’existent pas. Le débat et l’affirmation des valeurs libérales passera par des politiques sur la durée, des politiques européennes globales, des politiques fédérales. Au-delà des sanctions financières ou diplomatiques, une union politique nécessite des sanctions internes en cas de non-respect de ses règles ou de ses principes. Il s’agit de déconstruire les contre-modèles en émergence par la force de conviction, et en comparant en quoi l’Europe se distingue par le respect des équilibres entre liberté et sécurité, entre liberté et justice sociale, entre liberté et illiberté. L’unité européenne s’analyse aussi au regard de ce défi contemporain. Elle s’analyse en considération d’une complexité spatiale et temporelle historique, faite de divisions superposées : divisions politiques, divisions linguistiques, divisions économiques… L’étude des affaires européennes n’échappe pas à cette fragmentation puisque l’Union européenne unit les contraires de façon inséparable. C’est en insufflant un dynamisme nouveau et de confiance que les tensions culturelles s’effaceront pour laisser place à une concordance culturelle européenne et de civilisation. Cette culture européenne n’existe pas dans l’illibéralisme.
Motiver un fédéralisme européen plus solide
Si l’Union est classiquement définie comme une organisation sui generis, la nature fédérale de l’intégration européenne ne peut être écartée. L’unité des nations d’Europe repose sur la construction d’une identité européenne que nous devons choisir dans la continuité de notre Histoire ou en rupture totale avec celle-ci. Le respect des identités nationales est essentiel pour la spécificité de notre Union, mais il ne saurait être la justification à des dérives illibérales ou autoritaires sur le contient. Le fédéralisme européen est une réalité. Il est parfois trop absent, notamment lorsqu’il s’agit de ces questions culturelles et de valeurs. Si l’on souhaite renforcer davantage le fédéralisme européen, faisons-le. Mais il ne pourrait nier la spécificité européenne de la diversité : diversité culturelle, diversité politique, diversité linguistique… In varietate concordia. Une vision constitutionnelle durable se veut être au cœur d’un constitutionnalisme européen cosmopolite, ou multinational comme reflet de cette diversité européenne. L’équilibre est difficile dans la conciliation des nations d’Europe. Mais l’union des peuples permet aussi de justifier et de motiver un fédéralisme européen plus solide, plus crédible face à la crise des démocraties nationales. Les dérives illibérales de certains États membres de l’Union ou d’une frange de la classe politique européenne doivent être surveillées et combattues.
C’est en insufflant un dynamisme institutionnelle et de la confiance aux citoyens de l’Union que les défenseurs des valeurs européennes pourront casser la dynamique illibérale qui touche le cœur de l’Europe. L’illibéralisme n’est pas une fatalité.