L’ Europe va mal… mais l’Union résiste

Il est devenu banal d’entendre dire que l’Europe va mal, que l’Europe est au bord de l’implosion, que l’Europe ne répond pas aux attentes des citoyens etc. Mais en fait, si l’on y regarde de près, si l’Europe va mal, l’Union, elle, ne va pas si mal que ça. Surtout si on la compare aux nations qui la constituent. La crise est presque partout. En France, nous avons les Gilets jaunes, qui ont fait vaciller le Gouvernement il y a moins d’un an et qui ont laissé des traces visibles dans l’équilibre de nos finances. Mais ailleurs c’est encore pire.

Avec le Brexit, le Royaume Uni est secoué par une crise sans précédent, dont on ne voit pas comment il va pouvoir sortir, même avec des élections qui vont mettre en lumière la profonde et durable division de ce pays, mené dans une impasse par les manœuvres irresponsables et les mensonges de sa classe dirigeante. Voir ci-dessous, et voir cet article de Telos, qui résume bien la situation inextricable dans laquelle se trouve le Royaume désuni.

L’Allemagne traverse une phase de doute dont le « Dieselgate » qui revient sur le devant de la scène ces jours-ci n’est qu’un symptôme parmi d’autres. Angela Merkel est profondément démonétisée et ne parvient plus à gérer une coalition avec le SPD de plus en plus branlante et instable. La croissance est en berne, les exportations en chute libre, tandis que la question migratoire est encore dans toutes les têtes, même si le turbulent ministre de l’intérieur et président de la CSU bavaroise Horst  Seehofer a mis de l’eau dans son vinaigre en se rangeant au projet d’accueil des migrants mis au point à Malte (voir plus loin).

L’Italie a, provisoirement, trouvé une sortie à la crise ouverte par Matteo Salvini, lui aussi motivé par les seules visées électoralistes. Mais rien n’est réglé : le M5S n’a pas plus d’atomes crochus avec le Parti démocrate qu’avec la Ligue de Salvini. L’alliance nouvelle n’est pas plus solide que l’ancienne et devra compter avec un Salvini dorénavant dans l’opposition, et qui va tout faire pour la faire capoter. Seule bonne nouvelle : l’antieuropéisme incarné par Salvini est aujourd’hui mis en sourdine, ce qui permet à Bruxelles d’être plus conciliant sur le budget italien, et surtout aux autres pays membres de renouer le dialogue avec une Italie qui était devenue infréquentable.

L’Espagne est à nouveau dans une phase d’instabilité dont on ne voit pas non plus l’issue. Voir l’excellent article de Sauvons l’Europe.

La Belgique n’a plus de gouvernement depuis des mois. Même si ce n’est pas nouveau, on voit mal comment ce pays va résoudre les profondes divisions qui menacent son unité depuis des années.

La Grèce n’a toujours pas digéré l’expérience Syriza et ne s’est toujours pas remise de la terrible crise qu’elle a connue en 2011-2012. Le découragement a gagné toutes les couches de la population et le nouveau gouvernement semble bien mal armé pour résoudre les immenses problèmes que le pays connaît depuis des lustres.

L’Autriche vient de renouveler sa confiance au jeune chancelier sortant Sebastian Kurz. Mais son ancien allié, le parti d’extrême droite FPÖ, est dorénavant dans l’opposition, et Kurz ne sait pas avec qui conclure une alliance de gouvernement.

La Roumanie connaît une profonde crise liée à la corruption qui touche son gouvernement. La Pologne, qui va devoir renouveler sa diète avant la fin de l’année, pourrait elle aussi connaître des soubresauts, tant l’opposition à la mainmise du PiS sur les institutions, notamment la Justice, gagne du terrain. Tandis qu’en Hongrie, le Fidesz de Viktor Orban se trouve confronté à une opposition grandissante dans les villes.

Ainsi la plupart des grands pays de l’Union sont en crise profonde. Le national-populisme a fait des ravages partout, et a soit déstabilisé les régimes les mieux établis comme au Royaume Uni, soit pris le pouvoir comme en Pologne et en Hongrie et suscité dans ces deux pays une très forte opposition qui porte en germe de graves troubles à venir. Les petits pays ne sont pas mieux lotis, avec une corruption qui gangrène les institutions, comme à Malte ou en République tchèque.

Alors l’Union, en comparaison, avec ses institutions si décriées, apparaît encore comme un havre de stabilité. Le fait qu’aucun pays n’ait la prépondérance, que toutes les décisions importantes doivent donner lieu à la consultation de tous les Etats membres, qu’elle soit régie par des traités qui, sans être parfaits, sont des compromis dont chacun peut tirer parti, et surtout qu’elle soit dirigée par des hommes – et maintenant des femmes – qui bénéficient d’une grande expérience, d’une culture du compromis, de l’équilibre, d’une grande ouverture d’esprit, qui ne sont pas dominés par des idéologies extrémistes, qui ne font pas de « carrière » politique au sein de l’Union, fait que celle-ci est en mesure de remplir sa mission et de poursuivre sa route. La prochaine étape cruciale, après la confirmation des Commissaires par le Parlement, va être le vote du Budget.

Je reviens sur la question de l’immigration, qui reste le problème majeur de l’Union.
Un accord a été trouvé à Malte lors du mini-sommet du 23 septembre, qui réunissait Allemagne, France, Malte et Italie, sous la présidence de la Finlande pour répartir les migrants qui arrivent à Malte et en Italie. Ce pré-accord de répartition automatique des migrants débarquant à Malte ou en Italie devra être validé par les autres Etats membres lors du sommet du 8 octobre avec les 27 pays membres, et devrait pouvoir être étendu à au moins cinq ou six autres pays. Par cet accord, qui se situe dans la ligne de l’accord-cadre trouvé le 22 juillet dernier, les Quatre ont validé le principe du « lieu d’accueil le plus sûr et le plus facile ». Une première sélection sera opérée dans ce lieu de premier accueil afin de vérifier le parcours des migrants, notamment en matière de lutte anti-terroriste. Dans un second temps, si le migrant arrive en France par exemple, c’est l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides), un organisme indépendant, qui évaluera le besoin de protection avant que l’Etat ne mette en œuvre le droit d’asile. Mais Marseille ne figure pas dans la liste des lieux de premier accueil… Et, depuis le début de l’année, seuls 13% des 67.000 migrants irréguliers arrivés en Europe ont débarqué en Italie ou à Malte, contre 57% en Grèce et 29% en Espagne !
Il reste que le changement de gouvernement en Italie a permis la reprise des négociations, et que l’on peut espérer trouver un accord qui mettrait fin au règlement de Dublin, si injuste pour les pays riverains de la Méditerranée.

Voir l’excellent article de fond sur la question migratoire paru dans Telos et l’article de la Croix sur l’insoluble problème de la réforme du droit d’asile, avec un graphique des demandeurs d’asile par pays.