Alors que l’Union Européenne sortait enfin des séquelles de la crise de 2008-2012, voilà que la crise sanitaire du Covid-19 qui touche à des degrés divers tous les pays de l’Union remet en péril les économies des pays membres et menace l’Euro. L’Union a-t-elle les moyens de réagir ?
Plutôt que de me lancer dans une analyse détaillée de ces moyens, je vous invite à lire l’excellent article de Guillaume Duval paru dans Alternatives Economiques et reproduit par Sauvons l’Europe. Vous y verrez que l’Europe n’est pas dépourvue de moyens. Ses différentes institutions peuvent être mises à contribution pour permettre aux Etats membres comme aux entreprises et aux banques de faire face à l’énorme accroissement des endettements publics que vont entraîner l’indemnisation du chômage technique, le soutien aux entreprises touchées par la crise, les reports d’échéance et la baisse des recettes fiscales à prévoir. Les règles budgétaires de l’Union vont devoir être considérablement assouplies : la règle des 3% de déficit va être reléguée au rayon des souvenirs.
Voir l’ensemble des moyens sanitaires et financiers mis en oeuvre par l’Union pour faire face à la crise dans cet article très complet de la Fondation Robert Schuman.
L’Union va se trouver devant un dilemme : la solidarité ou la disparition.
Quels que soient les moyens mis en œuvre, on n’évitera pas le recours aux fameux Eurobonds, ces titres émis par la BCE ou les États et garantis par l’ensemble des États membres de la zone Euro. C’est à dire, en pratique, ceux qui ont des réserves suffisantes, ou un crédit suffisamment solide pour emprunter sur les marchés internationaux. Jusqu’à présent, les pays du Nord, Allemagne, Autriche Finlande et Pays Bas, étaient vent debout contre ce projet, qui présentait selon eux le risque que les pays du nord ne finissent par être responsables des dettes des pays du sud. Ils y voyaient surtout un chèque en blanc donné aux pays « cigales » pour continuer à vivre au-dessus de leurs moyens. Mais on n’est plus dans cette situation, et Angela Merkel a fait un premier pas en ce sens, malheureusement bien vite réfréné par son ministre des finances. Si neuf pays membres soutiennent le projet, les autres – les V4 (Groupe de Visegrád : Pologne, Hongrie, Slovaquie, République tchèque), la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie, le Danemark, la Suède, Malte, et les trois États baltes sont indécis ; L’inflexible Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, ne veut toujours pas en entendre parler. Il estime que les instruments économiques déployés en urgence depuis le début de la crise sont « à ce jour suffisants » : la BCE fait tourner la planche à billets à plein régime, les traités budgétaires ont été suspendus permettant à chaque État membre de pratiquer le soutien budgétaire sans tenir compte des limites aux déficits (3 % du PIB) et de la dette (60 %). Enfin, les aides d’État massives sont autorisées temporairement par la Commission, qui a établi un régime provisoire très large. Mais de même que le premier ministre néerlandais a dû se rendre à l’évidence et finir par mettre en place des mesures de confinement pour les citoyens néerlandais, il devra aussi accepter une forme ou une autre de mutualisation des dettes. Car sinon, les pays les plus touchés comme l’Italie ou l’Espagne ne se relèveront pas. Et c’est toute la zone Euro qui sera gravement menacée dans son existence même. Or si l’Euro disparaît, l’Europe ne sera plus qu’une coquille vide. L’égoïsme et l’aveuglement des riches auront eu raison de ce grand projet. Macron et Conte font tout pour faire avancer le dossier, mais jusqu’à présent sans grands résultats : le sommet par visioconférence du 26 mars s’est soldé par un échec… Peut-être faudra-t-il plus de morts, plus d’entreprises en faillite, plus de chômeurs pour que les Rutte, Kurz et consorts abandonnent leur dogmatisme et regardent enfin la réalité en face…
Faut-il que l’Union fasse entrer la santé dans le champ de ses compétences ?
Aujourd’hui, l’Union n’a aucune compétence dans ce domaine, qui reste entièrement du ressort des États membres. On peut souhaiter un renforcement de la coopération et de la solidarité, car cette absence de compétence européenne a occasionné de nombreux dysfonctionnements comme le souligne l’article de la Fondation Robert Schuman. L’exemple américain montre que le principe de subsidiarité doit s’appliquer sans faille : les décisions les plus efficaces se prennent au niveau local. Mais l’Etat fédéral – ou l’Union – doit pouvoir garantir la solidarité et la cohérence des décisions prises au niveau de chaque état. Or, en l’état actuel des traités, l’Union est désarmée pour assurer cette mission et a dû concentrer ses actions au plan économique et financier. Les aides et assistances diverses, comme le transfert de malades français et italiens vers des hôpitaux allemands, ou l’envoi de matériel de réanimation, comme la Suisse et l’Allemagne l’ont fait vers l’Italie, restent du domaine de la bonne volonté entre voisins. De plus, les décisions unilatérales de fermeture des frontières ont occasionné des difficultés pour le rapatriement de nationaux, par exemple aux Pays baltes à travers la Pologne.
Au milieu de cette terrible crise, le projet d’entrée dans l’Union de l’Albanie et de la Macédoine du Nord refait surface. On pourrait penser qu’il y a d’autres sujets plus urgents. Et pourtant, la crise actuelle montre qu’il n’en est rien. En effet, cette crise peut précipiter les pays des Balkans dans une situation insurmontable, qui les mettrait dans les mains des Chinois ou des Russes, toujours en embuscade pour faire entrer des pays d’Europe dans leur sphère d’influence, comme cela s’est déjà passé pour la Grèce et n’est pas exclu pour l’Italie. Erdogan également lorgne sur l’Albanie, pays à majorité musulmane. Emmanuel Macron, qui dans un premier temps s’était dit fermement opposé à cet élargissement tant que les règles d‘adhésion n’étaient pas revues, a obtenu que ces règles soient effectivement durcies, notamment pour s’assurer que les nouveaux entrants respectent les règles démocratiques mieux que ne le font les pays du Groupe de Visegrád et donnent des garanties sur l’usage des fonds structurels. Il devrait même être possible de faire sortir un nouveau membre s’il ne se met pas suffisamment en conformité avec la Charte de l’Union.
Il est trop tôt pour prédire comment et quand l’Union sortira de cette crise gravissime. Elle peut en faire un tremplin pour renforcer son unité, la solidarité entre ses membres, son efficacité. Ou elle peut sombrer dans le déni, l’égoïsme et le chacun pour soi. La Commission et le Conseil vont tout faire pour que ce soit la première hypothèse qui l’emporte et ils s’y emploient déjà. Ursula von der Leyen et Charles Michel planchent sur un plan de sortie de crise, pour éviter les cafouillages et les concurrences déloyales, mais aussi pour relancer prioritairement les industries qui permettront à l’Union d’assurer son indépendance stratégique, en matière de santé notamment. Peut-on espérer qu’une fois n’est pas coutume, la cohésion et la solidarité l’emportent sur les peurs, les arrière-pensées électoralistes, les réflexes nationalistes et de repli sur soi qui se manifestent au sein du Conseil? Alors cette crise n’aura pas coûté des milliers de vies, entraîné la faillite de millions d’entreprises et entravé nos libertés pour rien. Elle aura peut-être aussi été le signe que l’Europe a encore quelque chose à dire au monde…