Le sport, ciment social en Europe ?

On a échangé avec William Gasparini, Professeur des universités, sociologue au laboratoire « Sport et sciences sociales » de l’université de Strasbourg et titulaire d’une Chaire Jean Monnet. Il nous explique la place du sport en Europe et plus spécifiquement du football dans la société.

Match U20 France et Uruguay 2013

Match U20 opposant la France et l’Uruguay via Eser Karadağ.

Pourquoi mêler sport et études européennes ?

Je travaille depuis 20 ans sur la sociologie appliquée au sport, mes premiers travaux se concentraient sur l’échelle nationale. J’ai également collaboré avec le Conseil de l’Europe – et notamment l’APES – sur les questions sociétales en lien avec le sport (migrations, discriminations, dialogue interculturel). Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, j’ai élargi mes travaux au sport en Europe. Mon objectif c’est de déconstruire les catégories nationales qui nous font penser le sport en France, de faire une sociologie du sport qui dépasse les frontières tant géographiques que mentales.

Le sport est-il un facteur de cohésion entre les européens ?

Il n’existe aucune étude sociologique qui le prouve. Ce que l’on sait à travers des enquêtes, c’est qu’il existe des pratiques sportives communes en Europe ainsi que des inégalités (notamment sociales et sexuelles) d’accès au sport.

La pratique sportive est née en Europe et appartient pleinement à l’histoire du continent. Elle est partagée par l’ensemble des européens, tout comme le spectacle par ailleurs. On estime qu’environ 50% des européens pratiquent une activité sportive régulière, même si cette moyenne varie sur le continent.

Le spectacle sportif crée indéniablement du lien entre les européens. Le football, à travers la Ligue des champions, l’Euro ou la Coupe du monde, est le sport le plus regardé à la télévision. Quand la France gagne le mondial de football en 98, il y a une sorte de communion, d’émotion collective partagée par l’ensemble de la population. Pareil en Italie en 2006, en Allemagne en 2014 et au Portugal à l’occasion de l’Euro 2016.

En parallèle, la pratique sportive est aussi le lieu de fortes discriminations. La première cause est physique, les personnes en surpoids ou en situation de handicap sont souvent mises de côté. Vient ensuite la discrimination sexuelle, avec l’absence de femmes dans les postes à responsabilité ou dans les compétitions de haut niveau. La discrimination à caractère ethnique existe également dans de nombreux pays européens …

On voit des divergences dans le rapport qu’ont les européens au sport ?

On ne remarque pas d’unité entre sur la pratique du sport en Europe. Mais on observe une tendance à l’harmonisation des politiques de santé publique misant sur l’activité physique, notamment en ce qui concerne le surpoids.

« Une similitude que l’on remarque entre les pays européens c’est que le sport en club est une pratique minoritaire. La pratique d’activités physiques d’entretien de soi ou de bien être est individuelle. Les sports collectifs se font beaucoup entre collègues, entre amis, dans la rue, les parcs… Si le spectacle sportif est partagé par les cadres, les classes moyennes et populaires, la pratique se fait dans des cercles plus fermés, entre pairs. »

Les clubs et les assos sportives sont en déclin ?

Le modèle associatif est un modèle typiquement européen. En comparaison, aux États-Unis l’animation sportive se fait dans des cercles communautaires ou religieux alors que le sport professionnel se déroule dans les ligues fermées. Ces associations ont comme principal objectif d’organiser, de participer et de remporter des compétitions. La mission sociale, d’animation de la communauté, n’est apparue que dans les années 90, avec des politiques publiques construites autour du sport pour créer de la mixité et du lien social.

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Vous avez spécifiquement travaillé sur la migration dans le football, pourquoi ?

Le football a toujours été une affaire de migration. Historiquement, toutes les grandes équipes nationales se sont appuyées sur des athlètes issus des immigrations, à l’exception de certains pays européens tels que la Roumanie ou encore  l’Italie, qui commence juste à s’ouvrir avec des joueurs comme Mario Balotelli, d’origine ghanéenne.

Aujourd’hui, en pleine crise des réfugiés, l’Union européenne et ses États membres ne déploient aucune politique concertée d’intégration. Mais dans la société civile, on a vu se mettre en place de nombreux dispositifs pour intégrer ces nouveaux migrants à travers le sport et notamment à travers le football. A haut niveau, la problématique de l’immigration sportive actuelle, c’est plutôt la question du « commerce » des footballeurs mineurs venus d’Afrique pour jouer en Europe. Si certains deviennent professionnels, de nombreux jeunes ne sont pas recrutés et finissent désœuvrés loin de chez eux.

Quelles pistes de travail existent ?

Il faut absolument protéger les mineurs. En leur permettant au maximum de jouer dans leurs pays. Ensuite, s’ils viennent en Europe, il est nécessaire de mettre en place un double projet où les jeunes talents pratiquent le football en parallèle d’un projet éducatif comme le passage d’un diplôme ou l’apprentissage des langues. Les sportifs ne doivent pas être considérés comme une marchandise.

Il existe des recommandations du Conseil de l’Europe, de l’UEFA et de la FIFA. Ainsi, en 2009, la FIFA a révisé l’article 19 de son règlement dans le but de mieux protéger les mineurs face aux prédateurs du monde du football. Lorsque Michel Platini présidait l’UEFA, il était favorable à l’interdiction du transfert des mineurs provenant d’un autre continent. La plupart des pays membres de l’UE, comme la France, suivent aussi les recommandations du Conseil de l’Europe en la matière. L’objectif c’est de réguler les transferts et d’éviter une sorte de traite des enfants footballeurs d’Afrique vers l’Europe. On pourrait aussi taxer les clubs achetant des joueurs dans les pays du Sud.