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Gerard Peltre

Président de l'association Ruralité Environnement Développement et du Mouvement Européen de la Ruralité

« Il y a un désir de campagne partout en Europe »

On a échangé avec Gerard Peltre, Président de l’Association Internationale Ruralité Environnement, à l’occasion du Salon de l’agriculture. Il s’engage pour un développement ambitieux des territoires ruraux, qui ne se concentre pas uniquement sur l’agriculture.

Zone rural en Roumanie

Zone rural en Roumanie via CameliaTWU

 

Comment ça se passe quand on parle d’Europe au Salon de l’Agriculture ?

Le salon de l’agriculture était l’occasion pour nous de présenter notre proposition de créer un inter-fonds européen. Ce nouveau financement aiderait au développement les territoires ruraux et soutiendrait le Programme rural européen. Pour nous, le Fonds Européen Agricole pour le DÉveloppement Rural (FEADER) ne suffit pas pour que les territoires ruraux contribuent efficacement aux ambitions de l’Union européenne en matière de cohésion territoriale, de développement harmonieux et de croissance durable, inclusive et intelligente.

L’Union européenne doit planifier avec les collectivités territoriales une grande stratégie de développement intégrée des territoires ruraux. Cette ambition doit être formulée dans un « agenda rural européen », constituant à la fois un cadre politique, stratégique et budgétaire. Il existe bien un agenda urbain de l’UE, il est temps que la politique de développement rural ne soit plus simplement prise sous l’angle du soutien au secteur agricole.

Quels sont les besoins des territoires ruraux en Europe ?

La question rurale est un des enjeux majeurs du développement des Etats membres de l’Union européenne. Le problème c’est la structure des fonds européens destinés au développement rural et qui ne concernent que le volet agricole. Les citoyens ne comprennent pas ce projet européen qui déploie une politique rurale concentrée uniquement sur l’agriculture, sans considération pour les autres volets du développement des territoires ruraux.

Le sentiment d’abandon des zones rurales qui en résulte est présent sur l’ensemble du continent et se traduit par des citoyens qui doutent du projet européen et qui l’expriment par un vote populiste. L’UE ne propose pas assez de perspectives pour construire le futur de ces territoires.

Les territoires ruraux ont-ils des besoins différents à travers le continent ?

Tous les pays de l’UE ne sont certes pas au même stade de développement mais ils font face aux mêmes grands défis technologiques, numériques et méthodologiques avec la mise en œuvre d’approche collaborative et de circuits-courts. Il est essentiel de répondre à ces défis de manière globale, à toutes les échelles de territoires.

Les pays entrés en 2007 s’investissent plus vite et plus directement dans ces transformations. Les pays est-européens utilisent d’ailleurs une méthode française de développement mené par des acteurs locaux, héritée des politiques de développement hexagonales des années 80 et renommée « approche LEADER » au niveau européen.

« Si on veut booster les territoires ruraux, il est nécessaire d’arrêter le mépris de la ville vers la campagne en revalorisant les territoires ruraux comme des pôles de développement, de créativité et d’innovation. Parallèlement, il faut mettre en place des coopérations renforcées entre zones urbaines et zones rurales via des politiques publiques qui rendront visible la solidarité naturelle entre ces zones. C’est tout l’enjeu de l’agenda rural européen que l’on propose de créer. »

Quels sont les pays d’Europe dont on peut envier le modèle rural ?

Le modèle rural des pays nordiques est souvent mis en avant. En Italie, la question rurale se pose également de façon cruciale dans les zones défavorisées. La Pologne ou la Hongrie ont également une stratégie très fine de développement rural.

Dans les pays d’Europe de l’est, tous les problèmes sociaux présents en France dans les années 90 dans les villes sont apparus au même moment dans les territoires ruraux. Le changement de régime politique à la chute du bloc communiste a poussé de nombreux ouvriers à repartir vers la campagne.

Quelles initiatives restent à développer pour faire face à ces défis ?

Il y a un désir de campagne partout en Europe. L’Union européenne se doit d’accompagner ce mouvement en débloquant des fonds destinés à améliorer la qualité de vie des campagnes en y créant ou en y maintenant des services de proximités, le haut débit, l’accessibilité, la mobilité… Il faut améliorer l’attractivité de ces territoires ruraux afin qu’ils deviennent des territoires de destination et d’intégration.

Une telle politique ne peut se faire sans les citoyens qui doivent s’approprier ces investissements afin de garantir leur efficacité.  Pour cela Il est primordial d’initier et d’animer une action collective impliquant directement ou indirectement l’ensemble des citoyens et conduisant à un véritable projet de territoire démontrant ainsi à chaque citoyen qu’il peut agir sur son propre destin par cette action collective. Seule une telle démarche participative réunissant l’ensemble des parties prenantes permettra d’imaginer et de partager des solutions innovantes qui répondront aux besoins du développement de chaque territoire tout en restant adaptés aux souhaits de leurs habitants, condition même de leur succès. Tout cela doit être inspiré par l’Europe, financé par des budgets à débloquer et impulsé par des politiques publiques.

La subsidiarité qui laisse chaque État membre, chaque autorité de gestion locale faire comme elle le souhaite, est donc essentielle au succès de cette politique de développement, succès qui dépend en même temps du respect des axes et des objectifs voulus et décidés au niveau Européen. Ce mariage entre une stratégie globale et une mise en œuvre locale doit être assuré contractuellement. Toute cette mécanique peut paraître compliquée, mais elle est indispensable à l’exercice de la solidarité au sein de l’UE et devrait, pour être acceptée, être accompagné d’une expression claire et compréhensible par tous de ses orientations.

Comment protéger les producteurs européens face à un marché mondial ?

Le risque de la concurrence étrangère hors d’Europe existe et les inquiétudes sont sérieuses, mais la peur n’évite pas le danger. Pour rassurer le monde agricole, il faut montrer le rôle structurant et protecteur de l’Union européenne.

Depuis l’Acte unique européen, les États membres demandent à l’Europe d’aller vers l’ouverture des marchés extérieurs, pour doper leurs exportations. En contrepartie, ils doivent accepter l’importation de produits étrangers, mais ces importations ne doivent en aucun cas s’effectuer sans contrôle : l’UE doit veiller à ce que les biens et services en provenance de l’extérieur respectent le même cadre réglementaire et répondent aux mêmes normes de qualité que les biens et services européens.

Pour la France, toute collaboration avec des pays émergents doit s’effectuer sous couvert de règlements intégrant les valeurs que nous voulons défendre… La France souhaite désormais s’impliquer en amont dans les négociations internationales pour ne pas les subir une fois celles-ci abouties. Son objectif est d’inspirer les décisions européennes et internationales plutôt que d’entrer dans une logique de confrontation une fois les négociations conclues. De grands chantiers d’alliance sont d’ailleurs en discussion avec le Brésil, la Chine et l’Inde.