Jean Verges

Président d'honneur du Mouvement Européen - Provence

Nouvelles routes de la soie : rendre les MoU chinois eurocompatibles

Un MoU désigne un “Mémorandum of Understanding”, un instrument conventionnel à valeur déclaratoire qui énonce les principes et les objectifs qui inspireront les relations à venir de ses signataires. Les MoU dont il s’agit ici sont proposés par la Chine aux Etats (en particulier aux Etats européens) susceptibles de s’engager dans l’opération dite des nouvelles routes de la soie.

Une route en Chine – Illustration via Taver sur Flickr

Cet article est paru dans le n°26 des Nouvelles du Mouvement Européen – Provence.

Ces nouvelles routes de la soie s’inscrivent dans un projet géopolitique d’une grande ampleur, le projet “OBOR” (One Belt, One Road) qui vise à relier la Chine à l’Europe et à l’Afrique par de grands axes de communication (qui ressusciteraient les mythiques routes de la soie du moyen-âge). Le gouvernement chinois propose à ses partenaires de participer à la création ou à l’amélioration de grandes infrastructures routières, ferroviaires ou portuaires à travers le vaste continent eurasiatique et l’Afrique. Le projet OBOR constituerait, entre 2035 et 2050, la deuxième étape de la réalisation du concept chinois de nouvel ordre mondial fondé sur les infrastructures. Le continent européen, en particulier sa partie centrale et orientale, est plus impliqué que d’autres par les routes de la soie. Plusieurs pays membres de l’Union européenne sont d’ores et déjà entrés dans des processus préliminaires. Certains (la Hongrie, par exemple) ont même entrepris, avec le concours d’investissements chinois, la réalisation sur leur territoire de programmes nécessairement soumis aux normes du droit européen, notamment en matière de marchés publics et d’appels d’offre.

L’adhésion à un MoU, « gage de sincérité dans la relation bilatérale »

L’adhésion à un MoU par un gouvernement est considérée par le gouvernement chinois comme « un gage de sincérité dans la relation bilatérale ». Les MoU n’ont pas formellement valeur contraignante. Ils expriment les objectifs et les principes que se donnent les Parties pour leurs relations futures mais ils serviront à l’interprétation et  à l’application des instruments conventionnels qui les mettront en œuvre. Il sera nécessaire, alors, que les Parties  donnent le même contenu aux mots utilisés dans le MoU. D’autant plus que la similitude des concepts employés dans les divers mémorandums bilatéraux leur confèrera, en pratique, une valeur multilatérale et en fera le cadre normatif du nouvel ordre mondial proposé par la Chine. D’où l’intérêt d’une élaboration attentive de ces instruments bilatéraux.

Vers des orientations communes européennes

Les Etats européens ont répondu en ordre dispersé, sans stratégie commune, aux offres chinoises qui ont d’abord été faites aux pays d’Europe centrale, orientale et du Sud. La Hongrie a été, en juin 2015, le premier Etat membre de l’Union à signer un MoU, bientôt suivie par la Pologne, puis en novembre 2017, par l’Estonie, la Lettonie et la Slovénie. Cinq Etats non encore membres de l’Union se sont aussi engagés. Les Etats membres les plus anciens, plus conscients, peut-être, des objectifs et des intérêts de l’Union, se sont montrés plus réservés et ont souhaité voir préciser le contenu des concepts employés dans les MoU. Il leur a semblé que leurs interlocuteurs ne partageaient pas le même souci. La prise de conscience collective des Européens est récente, elle a eu lieu lors du premier “sommet des routes de la soie” réuni à Pékin en mai 2017, lorsque les diplomates chinois ont présenté au dernier moment une déclaration commune à adopter sans débat collectif préalable. En décembre 2017, la même démarche a été empruntée (en vain) lors de la préparation des voyages en Chine de Theresa May et d’Emmanuel Macron. Pour  éviter toute précipitation, l’Union a souhaité pouvoir comparer le contenu des mémorandums bilatéraux et proposé de fournir aux Etats membres intéressés une sorte de guide leur permettant de s’assurer que les objectifs et les principes qui leur sont proposés sont compatibles avec les exigences du droit de l’Union européenne. Tous les Etats membres, à l’exception de la Hongrie, se sont déclarés favorables à la rédaction d’orientations communes sur les principes à respecter par les Etats de l’Union dans leurs relations bilatérales avec la Chine.

L’enjeu des questions soulevées par les MoU chinois est, à terme, la mise en place du cadre normatif des échanges entre la Chine et ses partenaires. Des concepts fondamentaux (comme Etat de droit, libre-échange, concurrence, dumping, par exemple) doivent garder un contenu compatible avec les principes de l’ordre économique international, né  après  la seconde guerre mondiale, dans lequel l’Union européenne a affirmé et fait partager ses valeurs, ses  intérêts et certaines de ses normes. La concomitance de l’effacement éventuel de l’influence américaine, dû à sa tentation unilatéraliste, et de la promotion perspicace par la Chine du nouvel ordre mondial qu’elle souhaite, crée une situation inédite qui oblige l’Union européenne à affirmer sa contribution au système normatif qui régit les échanges internationaux.