Par ce vote, le Parlement européen a surtout manifesté son indépendance et a affirmé son importance dans l’équilibre institutionnel de l’Union européenne : Conseil européen et Conseil, Commission et Parlement européen. En rejetant cette la candidature de la candidate désignée par la France, il a affaibli indirectement le Conseil européen en s’en prenant indirectement au Président français, Emmanuel Macron, et à la Présidente élue de la Commission, Ursula von der Leyen à laquelle le Président français a cru bon d’imputer la responsabilité du choix de Sylvie Goulard.
Il a également ignoré le binôme franco-allemand qui a permis le choix et l’élection, il est vrai, d’Ursula von der Leyen comme Présidente de la Commission.
Il a, enfin, manifesté son attachement à la procédure du Spitzenkandidaten qui lui permettrait de prendre la main sur le choix de (la) candidat(e) à la Présidence de la Commission.
Cette crise est une crise institutionnelle. Le Parlement européen a pris date pour l’avenir et les chefs d’Etats et de gouvernements sont prévenus.
« Pourquoi devait-elle cesser d’être ministre en France mais postuler à un poste similaire à l’échelle européenne ? »
Telle est la phrase de défiance que la candidate n’a pas pu surmonter le 10 octobre en dépit de ses indéniables compétences pour occuper cette fonction et prendre en charge le vaste portefeuille du marché intérieur, de l’industrie, du numérique, de la défense et de l’espace.
3 heures d’audition, 50 pages de réponses écrites à des questions, puis de nouveau 1h30 d’explications orales n’auront pas suffi : la candidate de la France à la fonction de commissaire, Sylvie Goulard, a été rejetée par le Parlement européen.
Les députés de trois commissions parlementaires compétentes, celle de l’industrie, du marché unique et de la culture, ont voté contre elle par 82 voix et 29 voix pour une abstention. Seulement 12 voix, venues du parti centriste Renew que les députés français d’En Marche ont rejoint plutôt que de s’affilier au PPE, ont soutenu la candidate française, ce qui est un camouflet pour la France.
Ce rejet a été violent puisque, dans un message interne, un député du PPE a écrit: « we are going to kill her in the vote » (on va la descendre lors du vote).
Le Parlement européen a également envoyé un message de défiance à l’égard du Président français qui, vexé, a eu une phrase fâcheuse en disant qu’il y avait « du ressentiment et peut-être même de la petitesse » dans ce vote.
C’est la deuxième fois que la candidature d’un grand pays fondateur de l’Union européenne est rejetée, la première étant le rejet de Rocco Buttiglione. Ce candidat italien a subi une motion de défiance de 27 voix contre 26 de la commission des Libertés civiques, de la Justice et des Affaires intérieures du Parlement.
Le Parlement européen avait déjà rejeté les candidats de la Roumanie et de la Hongrie.
Une Commission européenne sans majorité. Un parlement européen qui s’affirme.
Les députés européens ont aussi pris la responsabilité de fragiliser le collège de la Présidente élue de la Commission. La faible majorité qu’elle avait obtenue en juillet dernier, avec seulement 9 voix d’avance, n’existe plus, puisque les élus de son propre parti, le PPE, ne l’ont pas soutenu.
Le Parlement européen a surtout pris une revanche après le refus du Conseil européen de retenir le système du Spitzenkandidaten pour nommer le (la) Président (e) de la Commission. Si ce système avait été retenu, comme ce fut le cas en 2014, le Parlement européen aurait pris la main sur la Présidence de la Commission et c’est le candidat du PPE, Manfred Weber, parti arrivé en tête à l’issue des élections au Parlement européen de mai 2019, qui aurait été candidat à cette fonction.
Un vote de défiance du Parlement européen.
Si le Président Emmanuel Macron a manœuvré pour faire échouer le système du Spitzenkandidaten et la candidature de Manfred Weber, il avait néanmoins négocié par la suite un accord avec la Chancelière d’Allemagne, Angela Merkel, ce qui a permis à Ursula von der Leyen de devenir la Présidente de cette institution.
L’échec de Sylvie Goulard est un échec du binôme franco-allemand.
La France a indiqué que sa candidate avait été victime d’ « un jeu politique qui touche la Commission européenne dans son ensemble », tentant de nier le fait que la défiance venait de l’ensemble des partis politiques : le PPE, les Verts, la Gauche radicale, la gauche Social-démocrate. En outre, les députés français, non membres de Renew, ont largement pris leur part dans le vote négatif du 10 octobre.
Malgré l’émiettement de sa représentation à l’issue des élections aux Parlement européen de mai 2019, les circonstances et la volonté de s’affirmer ont permis aux députés européens de se rassembler.
Dans l’immédiat, l’une des questions cruciales qui se pose maintenant pour la France est celle de qui sera le ou la remplaçant.e, le périmètre de ce vaste portefeuille ayant été taillé sur mesure pour une candidate très expérimentée. Elle est d’autant plus cruciale que le Président français a déclaré que sa préoccupation était de maintenir en l’état le portefeuille qui aurait du échoir à Sylvie Goulard et qu’un autre échec serait très malvenu pour lui.
Une autre question est celle de la date de prise de fonction le 1er novembre de la nouvelle Commission. Le remplacement de Sylvie Goulard n’est pas simple et la Roumanie, dont le gouvernement a été renversé, ainsi que la Hongrie, doivent proposer de nouveaux candidats après le rejet de leur candidat par le Parlement européen.
Ces nominations et l’audition des nouveaux candidats prendront du temps. Elles devraient très probablement entrainer le report du vote d’approbation prévue le 23 octobre du collège des commissaires et retarder la prise de fonction de la nouvelle Commission le 1er novembre.
Cette nouvelle Commission ne commencera pas son mandat de 5 ans sous de bons augures.