Regardons sereinement et sans polémique le bilan de la Commission Juncker, qualifiée de « Commission de la dernière chance en 2014 ». Il faut reconnaître que le travail accompli est considérable, et sans commune mesure avec le bilan de la Commission Barroso.
Pour ce qui concerne le fonctionnement de l’institution, Jean-Claude Juncker avait dès le départ annoncé qu’il allait revoir profondément le mode de fonctionnement de la Commission. Et de fait, il faut reconnaître que l’objectif a été largement atteint:
« La Commission précédente lançait 130 initiatives chaque année. Aujourd’hui, ce nombre a été ramené à 23. Nous avons retiré entre 80 et 100 directives de la table des co-législateurs, car nous ne voulions pas règlementer tous les aspects de la vie quotidienne des Européens« , explique M. Juncker. De fait, nombre de décisions tatillonnes ont été exclues du champ de travail de la Commission. Par ailleurs, trois postes de vice-présidents exécutifs ont été créés, afin de mieux coordonner et, il faut bien l’avouer, contrôler le travail des Commissaires, ce qui a permis d’éviter certains excès de zèle normatif.
Sur le plan économique et monétaire ensuite, puisque l’économie est au premier rang des objectifs de l’Union :
En 2014, l’Union sortait tout juste d’une crise sans précédent depuis les années 30. Il fallait raccommoder des liens abîmés par la crise grecque, qui avait vu l’Euro attaqué de toutes parts, les Grecs sévèrement mis en cause par les pays du Nord, qui voyaient dans les « pays du Club Med » des cigales incapables d’avoir une gestion sérieuse de leurs finances publiques, et qui avaient jeté l’argent qu’ils n’avaient pas par les fenêtres, à l’abri du pacte européen. Il a fallu retisser des liens, recréer la confiance, prévenir d’autres catastrophes. Ce furent les règles dites de Bâle, qui ont imposé aux banques des ratios d’endettement plus stricts, puis l’Union bancaire, qui crée un réseau de solidarité entre les banques des pays de l’Union. Même si cette Union bancaire n’est pas encore complètement achevée, elle est en bonne voie et complète la garantie européenne des dépôts bancaires à hauteur de 100 000 € en instituant une garantie inter-banques.
Le plan Juncker a été un formidable succès : lancé dans le scepticisme général en 2015 avec un objectif de 315 Mrds €, et une mise de fonds initiale de 21 mrds, ce sont finalement 440 Mrds € qui ont été investis dans des projets innovants, bénéficiant largement aux PME, notamment françaises, puisque la France a été le premier bénéficiaire de ce fonds. Ce fonds a permis la création de 900 000 emplois, et 1 million sont attendus d’ici à l’horizon 2020.
Il faut bien sûr mentionner la spectaculaire action de la Commissaire à la Concurrence Margrethe Vestager, qui a réussi à imposer aux GAFAM des amendes très lourdes pour concurrence déloyale et abus de position dominante. De nombreuses voix s’élèvent outre-Atlantique pour demander que les USA adoptent eux aussi des règles plus strictes vis-à-vis de ces géants du numérique qui menacent la démocratie.
Plus récemment, des accords ont été signés avec les partenaires commerciaux de l’UE, en particulier la Chine, pour le respect des appellations d’origine contrôlée et le droit de la propriété intellectuelle.
Des traités commerciaux ont été signés avec le Canada (TAFTA) et le Japon (JEFTA). Très critiqués en France, ces traités ouvrent de nouveaux marchés aux exportateurs de l’Union, sans pour autant abaisser les niveaux de protection des consommateurs. Les normes européennes deviennent ainsi de plus en plus les normes internationales.
Parallèlement, des initiatives ont été prises dans le domaine des batteries électriques : Le projet, improprement appelé « Airbus des batteries », prévoit de se doter de 1,8 milliard d’euros d’investissements. Cette dotation a pour objectif, d’ici à 2022, de construire deux usines de production de batteries, en Allemagne et en France. D’autres pays, comme la Suède, la Pologne et la Roumanie, se sont joints au projet. Mais il faut reconnaître que ce projet, lancé avec tambours et trompettes, patine, les constructeurs allemands d’automobiles ayant manifesté leur préférence pour des fournisseurs asiatiques qui ont une considérable avance dans ce domaine.
Enfin l’Euro a été consolidé, et la Lettonie et la Lituanie ont rejoint l’Eurozone en 2014 et 2015, portant le nombre total de pays utilisant l’euro à 19.
Si l’économique a été la première priorité de la Commission Juncker, les libertés individuelles et les droits humains ont été le second domaine d’intervention de l’Union, même si le Parlement a joué dans ce domaine un rôle plus moteur que la Commission ou le Conseil :
– Droit de la protection des données individuelles avec la RGPD que les Américains voudraient voir également en vigueur aux USA
– Respect du droit d’auteur par les GAFAM, notamment pour leur interdire de piller les entreprises de presse.
– Sanctions contre les Etats ne respectant pas la Charte des droits fondamentaux : Pologne, Hongrie, qui sont menacées d’une application des sanctions prévues par l’article 7 du Traité de Lisbonne si elles poursuivent la mainmise de l’exécutif sur le judiciaire et leur refus de respecter la liberté de la presse.
Les droits sociaux n’ont pas été en reste, notamment avec la modification des règles sur les travailleurs détachés, qui ne peuvent plus concurrencer déloyalement les travailleurs locaux. De même, la Commission a proposé de créer une Autorité européenne du travail, chargée de contrôler le respect des règles communautaires.
Dans le domaine de la sécurité, la Commission Juncker n’a pas non plus été inactive : l’Union a considérablement renforcé sa coopération dans le domaine du renseignement contre le terrorisme, et en 2018 a été créée l’Initiative européenne d’intervention, qui regroupe 9 pays membres qui ont accepté d’assumer un engagement en opérations : l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la France, la Finlande, les Pays-Bas, le Portugal et … le Royaume-Uni, qui devrait continuer même après le Brexit ! La Coopération structurée permanente (CSP ou PESCO), officiellement lancée en décembre 2017, vise à renforcer la coopération militaire de ses 25 États membres. Elle est complétée par le Fonds européen de la défense, qui devrait atteindre 13 milliards d’euros sur sept ans et vise à permettre aux défenses européennes d’améliorer leur coopération opérationnelle et d’unifier leurs équipements
Si le bilan de la Commission Juncker dans ces domaines est largement positif, plusieurs échecs sont toutefois venus assombrir le tableau :
Le Brexit tout d’abord, auquel la Commission n’a pas voulu croire plus que les dirigeants britanniques. Un des grands regrets de Jean-Claude Juncker est de ne pas avoir suffisamment dénoncé les mensonges des promoteurs du Brexit. Mais la Commission, grâce au talent et à l’opiniâtreté de Michel Barnier, a su préserver l’unité des 27 dans les négociations, ce qui n’était pas acquis d’avance.
L’immigration est un autre grand échec. Les accords de Dublin qui régissent l’accueil des migrants ne sont plus adaptés et ont fait peser une charge insupportable sur les pays du Sud européen, déjà mis à mal par la crise financière. Tout au long de son mandat, la Commission a cherché à trouver un nouvel accord permettant de mieux répartir la charge et les réfugiés dans les différents pays de l’Union. Ce fut un échec retentissant. N’écoutant que son bon cœur de fille de pasteur, Angela Merkel avait ouvert les portes de l’Europe aux réfugiés qui fuyaient les drames syrien et irakien, puis avait couru négocier de sa propre initiative un accord avec le président Erdogan. L’Italie de Matteo Renzi fit d’ailleurs de même en 2017 avec la Lybie. Mais les pays de l’Est européen, réunis au sein du « Groupe de Višegrad », ont refusé le système des quotas mis au point par la Commission, vu comme un empiètement inacceptable sur leur souveraineté, et ont refusé d’accueillir les réfugiés qui se sont trouvés baladés, puis parqués dans des camps en Grèce. La solution à cette crise des migrants passe par une définition commune du droit d’asile et la mise en place de procédures communes à tous les pays membres. La Commission a fait un énorme travail pour proposer 7 mesures destinées à améliorer le régime d’asile. Mais on en est encore très loin de la solution du problème tant les réticences des pays membres sont grandes…
D’autres échecs moins retentissants écornent néanmoins le bilan de la Commission Juncker :
- Il n’a pas été possible de définir une taxe carbone applicable aux frontières de l’Union.
- La politique énergétique commune souhaitée par J-C Juncker n’a toujours pas été mise en place.
- La protection de l’environnement a certes fait des progrès, notamment par le biais de normes de pollution plus contraignantes pour les voitures, mais l’Allemagne et la Pologne ont rouvert ou construit des centrales à charbon.
- La taxe sur les entreprises du numérique n’a été créée que par cinq pays de l’Union dont la France. Mais l’Allemagne craint des mesures de rétorsion des Etats-Unis sur ses exportations d’automobile…
Il reste encore beaucoup à faire : la tâche de Mme von der Leyen et de son équipe est considérable. Je la développerai dans une prochaine Lettre. Mais la Commission Juncker n’a pas démérité : malgré la crise migratoire et le Brexit, elle a su maintenir et même renforcer la cohésion au sein de l’Union et faire avancer nombre de sujets qui étaient loin d’être faciles.
La Commission présidée par Jean-Claude Juncker peut prendre sa retraite avec le sentiment d’avoir accompli sa mission. Sa plus belle réussite tient peut-être dans ce chiffre: en 2018, 76% des personnes interrogées pensaient que l’Union était un havre de paix dans un monde troublé. C’est 5% de plus qu’en 2017, et 10% de plus qu’en 2016 !
Pour avoir un panorama complet des réalisations de l’Union, voir le Rapport général sur l’activité de l’Union 2018 qui comporte des liens vers les rapports pour les années précédentes. Ces rapports sont une mine de renseignements et d’information sur tous les sujets traités non seulement par la Commission, mais aussi par le Parlement et le Conseil. A télécharger comme base d’information.