Le Revenu Universel, un outil pour passer de l’Europe déréglée à l’Europe des égalités ?

Didier Curel a co-écrit le livre « L’Europe est à nous ! Comment l’Europe et le Revenu Universel pourraient changer nos vies ! ». Il nous explique sa vision du revenu universel et son impact potentiel pour l’Europe. 

Billets de 20 euros

Billets de banque en Euros via Mohammad Tajer

Depuis le XVème siècle, l’Europe est le théâtre de grandes révolutions. Qu’elles fussent civiles, scientifiques, technologiques ou sociales, elles ont porté les peuples vers plus de liberté, plus de savoir et de philosophie, plus d’avenir et de Lumières.

La création de l’Union Européenne, qu’il convient de qualifier d’évolution et non de révolution, est le premier grand changement politico-social à avoir lieu sans que le peuple le paie au prix de son sang. Aujourd’hui, tout porte à croire qu’avec la technologie du numérique s’ouvre une révolution qui coutera au peuple, si non le prix de leur sang, le prix de leur survie. Avec une prévision plus de 250 millions d’emplois détruit dans les dix prochaines années à travers le monde, nous avons besoin d’un sursaut politique pour faire face à cette échéance. La promesse d’émergence d’emplois nouveaux, inconnus à ce jour semble bien maigre tant la robotique munie sa nouvelle intelligence interactive et à l’appétence monstrueuse envers nos emplois nous inquiète. Déjà au XVII siècle l’idée d’une rente perpétuelle fait son apparition pour apporter de la stabilité dans les relations humaines.

Toutefois, ce serait un tort que de réduire l’idée du Revenu Universel à un simple aménagement économique, une allocation supplémentaire pour alimenter le système en place dans les pays de l’Union Européenne. Le Revenu Universel peut devenir l’outil attendu au passage de l’Europe dérèglée à l’Europe des égalités.

Une nouvelle approche de notre système sociétal

La construction Européenne, aujourd’hui bloquée dans son inertie, se fait et « se fera par étapes » (J Monet), mais le manque d’imagination et de propositions nouvelles donne un sentiment d’enlisement et inscrit dans les esprits une lassitude se transformant en impatience au point d’en faire renoncer certains, de plus en plus nombreux. La course à la croissance annihile les efforts écologistes, l’impérialisme de certains ampute d’autres de leur capacité d’émancipation, la frilosité générale pétrifie les élans créatifs. Pourtant l’Europe unie est l’avenir des peuples qui souhaitent vivre dans la paix et l’harmonie, l’échange et le partage. L’Europe a besoin de grandir depuis sa base, ses racines nourries de son le sol. Pour atteindre une certaine unité sociale, fiscale et de niveau de vie sur un territoire aussi vaste, avec une population aussi importante et multiculturelle qu’est l’Union Européenne, il faudra, à mon avis, passer par une nouvelle approche philosophique de notre système sociétal et un changement radical de nos rapports et des prérequis ancrés au plus profond de nous. Mais si ce travail est fait, alors nous aurons réussi à faire renaître nos territoires d’eux même. Déployer les populations sur tous les espaces, assurer à chacun sa capacité à vivre, créer du lien au dépend du bien. Pour cela nous devons ré-envisager des notions de bases, comme la notion de « gagner sa vie », de « lien entre réussite et argent », de positionnement de « l’argent comme but et non comme moyen », entre autres.

Retrouvez le livre de Didier et Emma Curel : « L’Europe est à nous ! Comment l’Europe et le Revenu Universel pourraient changer nos vies ! »

Aujourd’hui, l’idée d’un Revenu Universel fait son chemin dans les esprits. L’idée est assez simple. Un versement mensuel, sans contrepartie, pour assurer le financement du quotidien. Le débat actuel porte essentiellement sur qui sera susceptible de le percevoir. On introduit ici les notions de revenus, doit-il y avoir un plafond de revenu stoppant son attribution et lequel ? Doit-il être progressif ? Puis de notions sociales, les enfants sont-ils inclus, les retraités, seulement les étudiants, doit-il être attribué aux « étrangers » ? La question de l’imposition se pose également. Mais malheureusement seule la pauvreté est traitée comme seul but à atteindre par le Revenu Universel.

Les contradicteurs, eux, y voient la fin du système, la dévalorisation des diplômes et des fonctions, l’oisiveté et la grivèlerie nous conduisant tout droit à la décadence. Leur point d’attaque le plus fort reste le financement impossible à réaliser, se comptant en milliards à l’échelle seule de la France, et le creusement exponentiel de la dette. La baisse des salaires est aussi invoquée par les opposants, mais peut-être ils omettent-ils dans leur réflexion les changements sociétaux et notamment l’inversion des rapports de force dans le marché du travail. En face, toute les mécaniques de financement via l’impôt direct, sur le revenu, ou indirect, la taxe sur la valeur ajoutée sont éprouvées. Le vieux rêve Mitterrandien de faire payer les riches dont la pérennité est un leurre.

La plus grande difficulté que nous allons avoir à surmonter pour la mise en place d’un revenu universel intelligent sera d’oublier une grande partie de ce que nous croyons des rapports humains et du but de notre existence. Oublier ce que nous croyons, oublier les fausses idées nous dictant que le but de la vie est de s’enrichir, oublier le faux concept nous insinuant que la loi du plus fort est la meilleure.

Les limites et les contraintes du Revenu Universel

Un tel système n’est-il pas dangereux ? Avant sa mise en place ne doit-on pas imaginer et anticiper les effets secondaires ? En augmentant le niveau de revenu de chacun que risque-t-on ? Le grand danger est l’inflation, une augmentation des prix quasi automatique et mécanique. En partant du constat simple que nous évoluons dans un système plutôt libéral et capitaliste dominé par la loi du marché, de l’offre et de la demande, il se dessine à un horizon proche l’inévitable hausse des prix. La loi du marché impose que les prix soient fixés non pas en fonction de la valeur de l’objet ou du service mais en fonction de deux critères : la volonté d’achat et la capacité à payer du consommateur. Ainsi les effets de rareté ou d’aubaine, plus ou moins, artificiels fixent les prix, un objet convoité voit son prix augmenter avec pour seule limite la capacité d’achat du consommateur. En augmentant cette capacité d’achat nous allons mécaniquement augmenter les prix. La volonté d’achat est alimentée par les besoins. Les besoins vitaux et nécessaires et les besoins non nécessaires. Ces derniers sont déclenchés par l’envie elle-même crée essentiellement par la publicité.

En prenant deux points de réflexion nous pouvons rapidement voir la dangerosité du système du Revenu Universel. Rappelons ici que l’idée est de verser une somme à chaque personne pour la sécuriser financièrement. Selon le montant, certains foyers pourraient donc voir leur revenu doubler ou même tripler. Si cette somme disponible supplémentaire est intégrée à la capacité d’endettement d’un foyer fiscal, les organismes bancaires seront alors en mesure de prêter plus, plus cher ou à plus long terme. Le montant des intérêts sera alors démultiplié et le grand bénéficiaire d’un tel Revenu Universel sera le système bancaire. Par effet de levier et suivant la loi du marché, au même titre que durant la période où les intérêts d’un emprunt immobilier étaient déductibles de l’impôt sur le revenu (2007-2011, augmentant la capacité d’endettement des foyers fiscaux),  a vu le prix de l’immobilier augmenter, il en sera de même avec le Revenu Universel et de façon plus forte encore, entrainant avec lui l’ensemble des prix. Sans prendre de précautions et en installant un Revenu Universel précipitamment nous prenons le risque majeur d’aggraver la pauvreté. Il convient donc de réfléchir non pas à qui le recevra et comment on le financera, mais plus à comment gérer les flux financier qu’il engendra après sa mise à disposition.

A l’échelle de l’Union Européenne un point important est à prendre en compte. Si la France seule se lance dans cette aventure, nous courrons le risque d’augmenter sensiblement la différence de niveau de vie par rapport aux autres états de l’Union. L’augmentation de cet écart, déjà problématique actuellement, défavorisera le projet Européen, voire réduira les efforts de construction à néant.

Le revenu Universel doit être comparé à une bouteille de nitroglycérine et à manier avec autant de précautions.

Pourtant le Revenu Universel est, si ce n’est la solution,  une solution pour évoluer vers un monde nouveau, une nouvelle philosophie de vie. Il doit être considéré comme l’égal des Lumières, une évolution des consciences, un changement des rapports humains. Mais pour cela, il faut en accepter les limites et les contraintes qu’il impose.

Nous avons vu qu’une mise à disposition simple ouvrira la porte d’une augmentation des prix qui nous ramènera à une situation identique à celle d’aujourd’hui, ne réduisant en rien la pauvreté. Il va donc être capital de fixer des limites empêchant toute spéculation, toute thésaurisation, et l’inscrire dans un système de circulation permanente des flux afin de le rendre utile sur plusieurs niveaux. En premier lieu assurer à chacun la capacité à couvrir ses besoins nécessaires, en second lieu améliorer les relations sociales, en troisième lieu créer un comportement écologique, enfin favoriser l’économie globale au niveau de l’Union Européenne.

Epicure a proposé un classement des besoins, on y trouve au premier rang les besoins nécessaires et vitaux. Il comprend ici le besoin de se couvrir, de se réchauffer qui assure le bienêtre du corps ; se nourrir, boire et se reposer pour se maintenir en vie ; avoir du temps pour le bonheur indispensable à la vie. C’est sur cette base que le revenu universel devrait être calculé.

A partir de cette base, quelles précautions devrions-nous prendre ?

Nous devons en faire un outil d’inversion des rapports entre salariés et employeurs, un outil créateur de liens, de redéploiement des populations sur tous les territoires. Il doit être aussi écologique. Les flux financiers qu’il va créer doivent se protéger de la spéculation, la thésaurisation, la création de crédit et de l’évasion fiscale.

Nous pouvons imaginer que sans besoin vital et nécessaire des revenus d’un travail, les négociations autour des modalités d’un contrat seront plus équilibrées. Rien n’oblige l’employé à accepter des conditions qui ne lui conviennent pas, tout porte à croire que l’employeur en besoin de main d’œuvre devra prêter plus attention aux désirs de son futur employé. L’inversion ou la mise en égalité des rapports salarié/employeur apparaitront de fait.

La liberté d’entreprendre en sera favorisé par une liberté d’esprit quand à la survie. Plus d’étudiants contraint de travailler dans un  fast-food ou un bar de nuit, ou de se livrer d’autres pratiques plus ou moins licites et respectueuses de sa personne.

La France et certainement bon nombre de pays Européen souffre d’une désertification des petites villes et des espaces de campagnes. Manque d’emploi, désertion des services publics, …. Bon nombre d’espaces sont devenus des marges, des confins territoriaux. En imaginant un Revenu Universel utilisable exclusivement dans des commerces de proximités nous pourrons certainement ramener les consommateurs vers ces points de vente. Il en découlera un besoin de main d’œuvre et un repeuplement de ces territoires. D’autre part, en écartant la possibilité de recevoir en paiement les sommes du Revenu Universel les établissements de chaîne souvent délocalisés, les ventes sur internet délocalisées, les produits non respectueux de l’environnement, nous les inviterons à adapter leur production et leur pratiques vers une économie sociale et solidaire, écologique et fiscalement juste.

Il n’y aura pas plusieurs façons de protéger les montants de revenu universel de la thésaurisation, de la spéculation. Si le Revenu Universel est distribué via le circuit financier actuel, il sera impossible de le sécuriser. Il faudra donc le mettre à disposition des citoyens par un circuit parallèle, appuyé sur la banque centrale Européenne.

Son universalité est capitale. Il parait important de se munir d’un Revenu Universel mis à disposition de tous quel que soit le niveau revenu. Cela rejoint la proposition précédente et son rôle de retour des tous consommateurs vers les commerces de proximité, ainsi les plus aisés seront invités à revenir vers la proximité favorisant la mixité des populations.

Un revenu éphémère et imposable

Afin de rendre la thésaurisation et la spéculation impossible, il est envisageable de rendre ce revenu éphémère, à savoir consommable sur un temps imparti. Pour être plus clair, nous pourrions mettre en place une mise à disposition sur une durée déterminée, le mois par exemple. En nous rapprochant de l’idée de subvenir grâce à ce revenu aux besoins vitaux et nécessaires, rien ne nous empêche que la mise à disposition se fasse le premier jour du mois et que le dernier jour, les sommes non utilisées disparaissent pour être remplacées par celle du mois suivant. Ainsi, il ne sera pas possible de cumuler ce revenu et les sommes mises à disposition circuleront sans cesse évitant la thésaurisation et la spéculation. De plus, seuls les plus aisés auront loisir de l’utiliser ou pas, dans ce cas, les sommes sont reprises et remise en circulation de fait.

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Le revenu universel doit-il être imposable ? Si nous souhaitons amener toutes les populations à l’utiliser et créer du lien dans les espaces que sont les villes, lui parfaire son sens de financement par le bas, alors il est important qu’il le soit et de le positionner en haut des revenus de façon à ce que les riches en paient une part en pourcentage plus importante. Un double effet à cela, faciliter et permettre le financement par l’impôt direct et favoriser la consommation par tous selon les critères choisis.

Un financement sans endettement pour les états

Le revenu universel doit se voir comme un changement sociétal majeur au niveau de l’Union Européenne. La Banque Centrale Européenne devrait être à l’origine de son financement. C’est l’organisme qui doit mettre à disposition les sommes du Revenu Universel directement aux citoyens. Charge aux Etats de lui restituer cette somme à hauteur d’un euro restitué pour un euro mis à disposition, donc sans intérêt aucun. Les états mettant en place un système de collecte, basé sur l’impôt direct, la TVA, les cotisations sociales des emplois nouveaux, la part des prestations sociales qui ne seront plus versées, les taxes sur les banques,… . Aucun endettement pour les états n’en résultera. Une circulation permanente, sans évasion, sans ponction, sans détournement.

Par de là, le Revenu Universel apportera à l’Union Européenne l’outil de l’égalisation des niveaux de vie des citoyens de ses pays membres en quelques années, augmentant par palier le montant mis à disposition selon la situation de chaque Etat. L’Europe deviendra alors un territoire d’égalité.

Pour être une solution profitable et déclencher un changement sociétal, il faut réfléchir le Revenu Universel et lui donner du sens, au-delà d’une prestation sociale. Il faut voir plus loin, plus grand. Ephémère, ciblé, imposable, consommable, écologique, égalitaire doivent être les mots de la base de la réflexion et de sa mise en place. Par et pour les peuples d’Europe, le Revenu Universel doit être pris au sérieux par l’ensemble des classes politique et surtout par l’ensemble des citoyens qui souhaitent se libérer et s’émanciper, vivre et penser mieux.

L’Europe est à nous !