A l’heure où les négociations vont bon train entre les institutions européennes pour se mettre d’accord sur le futur budget européen, il est important de rappeler combien le volet Recherche & Développement (R&D), notamment dans le secteur de l’énergie, est essentiel pour faire gagner l’Europe et ses entreprises, au bénéfice de tous les citoyens.
Dans un contexte de guerre économique au niveau international, alors que la transition énergétique et la révolution numérique pèsent dans les agendas politiques des Etats du monde entier, l’Union européenne doit plus que jamais se montrer ambitieuse. Elle doit se doter d’outils pour répondre plus efficacement aux multiples défis notamment sur les plans socio-économique et climatique.
A ce sujet, le rapport du GIEC du 8 octobre dernier estime possible de contenir la hausse du réchauffement sous la barre de 1,5% à condition d’impulser des actions radicales dans tous les secteurs que ce soit l’énergie, les bâtiments, les transports, etc. Dès lors, la politique européenne de R&D doit constituer un levier stratégique pour affronter les enjeux cruciaux de la course à l’innovation et de la lutte contre le dérèglement climatique.
Rappelons d’abord que l’Europe, dans le futur cadre financier pluriannuel proposé par la Commission européenne pour la période 2021-2027, pourrait disposer d’un budget global de 1 279 milliards €, passant ainsi de 1 % du Revenu National Brut (RNB) de l’Union (pour la période actuelle 2014-2020) à quelque 1,11% pour les 7 années suivantes. L’enjeu sera donc à cet horizon de trouver un équilibre entre les moyens de combler le départ du Royaume-Uni en 2019 dû au Brexit (perte de 84 milliards €), le soutien des politiques classiques et l’impulsion aux nouvelles priorités que sont notamment la R&D.
Précisément dans ce domaine de la R&D, si l’Union européenne compte pour 20 % de l’investissement mondial en R&D et pour environ un tiers des publications scientifiques, elle peine malheureusement à traduire son excellence scientifique en percées et innovations révolutionnaires du fait d’un faible investissement privé européen en R&D et d’un marché du capital-risque sous-développé et fragmenté.
Selon Eurostat, les dépenses de R&D dans l’Union européenne se sont élevées en 2016 à 302 milliards d’€, soit un peu plus de 2% du PIB, dont les deux-tiers réalisées par les entreprises européennes.
A noter que par rapport à d’autres grandes économies du monde, l’intensité de R&D dans l’UE est beaucoup plus faible qu’en Corée du Sud (4,23 % en 2015), qu’au Japon (3,29 % en 2015) et qu’aux États-Unis (2,79 % en 2015), tandis qu’elle se situe à peu près au même niveau qu’en Chine (2,07 % en 2015).
On notera aussi les fortes disparités entre les pays européens. Au top du classement des pays les plus engagés dans la R&D: la Suède (3,25% du PIB), l’Autriche (3,09% du PIB), l’Allemagne (2,94% du PIB). Au bas du tableau, la Lettonie (0,44%), la Roumanie (0,48%) et Chypre (0,50%). La France a consacré 2,22% du PIB en matière de R&D. La moyenne européenne se situe à 2,03%.
Lorsque l’on sait l’importance de la révolution numérique actuelle, il est essentiel d’avoir à l’esprit que les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont dépensé 46,5 milliards de dollars en R&D en 2017, Amazon dépensant à elle seule une enveloppe de 16,1 milliards de dollars. A titre de comparaison, les dépenses de R&D de l’ensemble des entreprises françaises s’élèvent environ à 30 Md€.
En conséquence, pour garder sa souveraineté technologique, numérique et économique et peser dans le monde, l’Union européenne doit absolument muscler sa politique européenne de R&D et la cibler davantage.
Le futur programme Horizon Europe présenté par la Commission européenne en juin dernier (dans le cadre du futur budget européen 2021-2027) serait doté d’un budget de 100 milliards d’euros ; ce programme succèdera et s’appuiera sur les acquis de l’actuel programme Horizon 2020 dont le succès n’est plus à démontrer (30.000 candidatures chaque année depuis 2014). D’ores et déjà, certains Etats plaident pour plus d’ambition en la matière. Ainsi, en mai dernier, la France et l’Allemagne ont suggéré des actions fortes au niveau européen pour stimuler l’innovation de rupture. Dans ce contexte, la transition énergétique, et en particulier sa dimension réseau électrique, doit constituer un champ primordial.
A sa mesure, l’action d’Enedis illustre un engagement fort en matière de R&D pour permettre à l’entreprise d’avoir une vision de long terme et d’accompagner la transition énergétique. Plusieurs chantiers ont été lancés: développer l’intelligence des réseaux ; adapter la relation clientèle à la révolution numérique ; faciliter l’intégration des énergies renouvelables et accueillir les véhicules électriques, tout en garantissant la sûreté du système électrique ; préparer les solutions de gestion des données et accompagner les projets des smart territoires. Enedis est ainsi engagée dans de nombreux projets multipartenaires notamment le projet de recherche européen Flexiciency, financé dans le cadre du programme Horizon 2020. L’objectif est de concevoir un portail pan-européen pour les échanges de données entre les acteurs du système électrique permettant le développement de nouveaux services innovants.
En terme de R&D, le niveau européen s’avère incontestablement indispensable pour partager, mutualiser les risques, mobiliser des ressources financières ambitieuses, disposer d’un large éventail de projets et ce faisant, susciter de l’innovation, des technologies inédites, notamment en matière d’intelligence artificielle. La future politique européenne de R&D doit renforcer la coordination entre les acteurs de l’innovation des Etats membres pour faire émerger des solutions économiquement viables. L’Union européenne doit également rationaliser ses initiatives au risque de s’éparpiller en la matière et d’échouer à peser dans le contexte de guerre commerciale internationale. Des pistes existent : par exemple recentrer l’effort européen de R&D autour de quelques priorités: les smart grids, le stockage, la mobilité propre ou encore la création d’un réseau des laboratoires et des instituts européens de l’énergie. La mise en place par la Commission européenne de l’Alliance européenne des batteries constitue en ce sens une initiative louable qui doit être saluée et encouragée.
Ce n’est qu’avec une politique européenne de R&D plus conséquente, stimulant le développement de nouveaux modes d’innovation plus agiles, permettant leur confrontation et leur expérimentation avec des partenaires que l’on peut déboucher sur une Europe et des Européens qui gagnent, et construire ainsi des réseaux européens du futur et le futur européen des réseaux.