Séries européennes : tour d’horizon d’une production éclectique en 10 séries

On assiste depuis quelques années à l’émergence d’une vraie proposition européenne en matière de série télévisée. Au-delà des fictions anglaises, dont on connaît la qualité depuis de nombreuses années, c’est l’Allemagne, l’Espagne, le Danemark ou encore la Suède qui ose aujourd’hui porter des projets ambitieux et éclectiques. Thibaut Ciavarella, commentateur averti de l’univers des séries, fait le point sur la production européenne.

Femme regardant la télévision

Avec pas moins de 28 États membres, l’Union européenne est riche de ses différences culturelles. Chaque pays peut développer un ton, un rythme, une manière de raconter des histoires. Les pays nordiques ont la réputation de fournir des polars magistraux, alors que l’Espagne tient à proposer des period-drama très soapesque. L’Allemagne trop souvent cantonnée à Derrick semble trouver une nouvelle jeunesse avec des productions innovantes qui parviennent à créer le buzz. Les exemples de créations européennes de qualité ne manquent pas et permettent de dresser un paysage sériel bien plus vaste, intrigant et riche que les États-Unis.

Alors, laissons de côté les séries américaines pour se pencher sur 10 séries européennes qui méritent amplement votre coup d’œil.

Borgen (Danemark) — 2010 – 2013

Crée par Adam Price et diffusée en France sur Arte, Borgen est une série politique mettant en scène Brigitte Nyborg, chef du Parti centriste élue contre toute attente Première Ministre. Cette femme au caractère bien trempée va devoir affronter les affres du pouvoir tout en s’efforçant de maintenir un strict équilibre en vie professionnelle et vie privée.

De manière schématique, on pourrait dire que Borgen est l’équivalent Danois de The West Wing (à la Maison Blanche), série crée par Aaron Sorkin qui s’est efforcé de décortiquer les méandres du pouvoir américain. S’il est vrai que les deux productions partagent des points communs, la création d’Adam Price s’en dégage rapidement en élargissant son sujet.

En effet, si le centre de Borgen est le personnage de Brigitte Nyborg, la série met en avant Kasper, son conseiller en communication et Katrine, une ambitieuse journaliste. Adam Price s’attarde ainsi sur les ramifications jusqu’au pouvoir et apporte un point de vue dense et intelligent sur le monde politique faisant de Borgen l’une des meilleures séries des années 2010.

Dark (Allemagne) — 2017 – …

Surprise de la fin de l’année 2017, Dark est une série Netflix crée par Baron bo Odar qui débute son récit en 2019, à Winden, petite ville dominée par une colossale centrale nucléaire, qui fait face à la disparition d’un jeune adolescent. Puis d’un enfant. Ces événements semblent être l’écho d’événements similaires s’étant déroulés trente-trois ans plus tôt.

Si tout débute comme un polar à la Broadchurch ou The Killing, la série de Baron bo Odar s’avère bien plus surprenante et ambitieuse que son premier épisode ne peut le laisser paraître. En effet, peu à peu le récit mute pour devenir une sorte d’hybride entre polar et science-fiction. Imbibée par des inspirations d’autres grandes productions du genre, on pense à Twin Peaks, Fringe ou encore Lost, Dark installe une ambiance assez hypnotique et déroule une histoire labyrinthique farouchement fascinant.

Deutschland’ 83 (Allemagne) — 2015 – …

En 1983, Martin Rauch quitte l’Allemagne de l’Est pour devenir espion en Allemagne de l’Ouest et découvrir une vie radicalement différente de la sienne de l’autre côté du mur. Cette série crée par Anna et Jorg Winger met en avant une période de forte tension entre une URSS proche de l’agonie et des États-Unis de plus en plus crispés dans leurs convictions.

C’est sur ce fond d’Histoire moderne que Deutschland’ 83 fait évoluer un récit à la fois thrillesque, mais aussi furieusement divertissant. C’est le grand paradoxe de cette création allemande, en choisissant de s’éloigner du sérieux de la série d’espionnage, le couple Winger offre une sorte de variante fun au genre de l’espionnage. Doté d’un rythme endiablé et d’une B.O absolument jouissive où cohabite David Bowie, New Order ou The Cure, Deutschland’ 83 est un pur réjouissement.

El Ministerio Del Tiempo (Espagne) — 2015 – …

L’agence de voyages intertemporels, Ministerio del Tiempo, capture RTVE

Crée par Pablo et Javier Olivares, El Ministerio Del Tiempo s’attarde sur le ministère du temps, une institution gouvernementale secrète s’assurant qu’aucun intrus du passé n’arrive a notre époque afin de changer l’histoire dans leur intérêt. Pour cela, les patrouilles doivent voyager dans le temps et les en empêcher.

La série nous fait suivre un trio de personnages issu de trois périodes différentes : Amelia est l’une des premières femmes universitaires dans l’Espagne de la fin du XIXe siècle. Alonson vient tout droit de 1570 ou il est membre de l’élite de l’armée espagnole et Julian, l’infirmier qui est issu de notre époque.

El Ministerio del Tiempo est avant tout un divertissement, dans lequel les éléments historiques servent souvent de décors pour des aventures à base d’humour anachronique notamment au travers de dialogues peuplés de références à la pop culture. On pourrait ainsi dire de la série qu’elle est une variante espagnole de Timeless.

Las Chicas Del Cable (Espagne) — 2017 – …

Se déroulant en 1928, au sein d’une entreprise de télécommunications, Las Chicas Del Cable ou Les Demoiselles du téléphone en français est une série de Ramon Compas, Teressa Fernandez-Valdes et Gema R.Neira.

Las Chicas Del Cable est dans la veine des autres créations du trio de scénaristes (déjà à l’origine de Velvet et Grand Hotel), un très beau décorum au service d’intrigues tendant vers le soap.

C’est un genre très populaire en Espagne et cette production Netflix en coche toutes les cases. Si vous y êtes allergique, autant dire que la série sera un cauchemar pour vous, néanmoins, les créateurs insufflent un fond un peu plus politique que d’autres productions du type. En effet, en s’attardant sur le destin de quatre femmes, la série tient à expliciter la quête d’émancipation des espagnole, mais aussi la lutte des classes. Malgré tout, cette production Netflix reste avant tout un divertissement aux intrigues souvent romanesques portées par une distribution assez séduisant.

Real Humans (Suede) — 2012 – 2014

Real Humans est l’une des séries européennes dont on a le plus entendu parler. Crée par Lars Lundstrom et diffusée en France sur Arte, l’histoire se déroule dans une réalité alternative ou les robots humanoïdes (Hubot) sont devenus des machines s’adaptant aux besoins humains. Alors qu’une partie de la population refuse l’intégration de ces robots, ils commencent à montrer des signes d’indépendance.

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Alors que la société suédoise est souvent prise comme modèle par l’ensemble de l’Europe, Lars Lundstrom questionne ce système. En évoquant des thématiques liées à l’immigration illégale, l’homophobie, tout en interrogeant notre rapport à la technologie, notre dépendance a celle-ci et ses dérives, tout en proposant un divertissement rythmé et ponctué de magnifiques performances d’actrices/acteurs.

Rita (Danemark) — 2012 – …

Crée par Christian Torpe, la série — disponible sur Netflix — s’attarde sur Rita est une enseignante et mère célibataire de trois enfants. Femme au fort caractère, elle se veut indépendante et attise souvent la haine des gens qui l’entoure tandis que ses élèves l’apprécient.

Rita apparaît comme une sorte de variante de United States of Tara, une série américaine qui questionner le rôle de la femme dans la société moderne au travers d’un personnage aux multiples facettes. Rita doit elle aussi porter plusieurs casquettes, mère et père à la fois, elle agit le plus souvent comme une adolescente tout en ayant un vrai rôle social avec ses élèves. S’inscrivant dans la lignée des antihéros, Rita est tantôt attachante tantôt exaspérante et offre ainsi des épisodes à la fois drôle et touchant, traversés par quelques réflexions sur la société danoise.

TF1 en a fait un remake sous le nom de Sam.

Snö (Suéde) — 2012

Mini série en trois épisodes crée par Simon Kaijeser, Sno se déroule dans les années 80, Rasmus quitte sa petite ville pour Stockholm où il va faire la rencontre de Benjamin, leur histoire va se heurter à l’apparition du SIDA.

Simon Kaijeser tisse un récit entre la découverte de sa sexualité, les soirées joyeuses, les premiers émois, les relations compliquées avec la famille. Progressivement les personnages vont face à la maladie, les morts, la vie des survivants, la difficulté de se sentir en dehors du système alors qu’on leur interdit le deuil de la personne qu’ils aiment. Dès lors, Sno est un grand drame qui renvoie la société de l’époque à ses responsabilités, sans fard et avant 120 Battements par minutes, Simon Keijeser signe une fiction aussi émouvante qu’importante.

Wasteland (Republique Tcheque) — 2016

Wasteland ou Pustina en V.O est une série crée par Stepan Hulik prenant la forme d’un polar se déroulant un village isolé ou une jeune fille disparaît dans d’étranges circonstances.

Derrière son aspect d’enquête policière, Wasteland s’attarde sur la vie et les mentalités d’une petite ville de République Tchèque. Dans cette Europe de l’Est, les campagnes industrialisées vivent avec le fantôme de la catastrophe de Tchernobyl, mais aussi les conflits avec les pays limitrophes comme la Pologne. La série met en avant un maire qui s’oppose à l’extension d’une mine détenue par les Polonais. Le récit qui se rapproche des tonalités des polars nordiques lie l’enquête policière à une vraie intrusion dans cette société.

1992 (Italie) — 2015 – …

On finit ce tour d’horizon des séries européennes par l’Italie avec une série politico-mafieuse. Se déroulant en 1992 (1993 pour la saison 2), la création de Alessandro Fabbri, Ludovica Rampoldi et Stefano Sardo raconte le lancement de l’opération « Mains Popres » censé mettre un terme à la corruption généralisée. La mise en cause de Michele Mainaghi, un magnat du secteur médical aura des répercussions sans précédent…

En se basant sur ce fait historique, la série traite d’une année charnière pour l’Italie. En effet, pour beaucoup d’Italiens c’était un nouvel espoir qui s’ouvrait au pays. Mais les scénaristes vont capter la rapide désillusion du peuple avec de nombreux personnages et la mise en place d’une nouvelle forme de corruption qui conduira à l’émergence de Silvio Berlusconi.

Minutieusement documentée, 1992 pourrait presque se définir comme un House of Cards italien tissant une fresque complexe et sans fard de l’Italie des 90’s.