L’Europe reste décidément en France le bouc émissaire n°1 : Pas une voix discordante dans le concert de critiques et de reproches à l’Europe : elle ferait moins bien qu’à peu près tout le monde : Royaume-Uni, Israël, USA, Russie, Chine et même Inde ou Pakistan.
Il faut d’abord rappeler que la santé ne fait pas partie de la compétence de l’UE. C’est à la demande de pays membres, dont la France, que la Commission s’est emparée du sujet de la vaccination. Il fallait éviter que les États de l’Union ne se lancent dans une course au vaccin et que les pays les plus fortunés monopolisent les capacités des labos, au détriment des moins privilégiés. Cela n’a pas été facile : des pays comme l’Allemagne se sont beaucoup fait tirer l’oreille et voulaient réserver leur production nationale à leur population. La Commission a donc été chargée d’homologuer les différents vaccins, de négocier les prix, les capacités de livraison, et d’organiser la répartition des doses entre les différents pays. C’est ce qu’ont fait également les autorités fédérales américaines qui ont réparti les doses entre les différents États américains. Sauf qu’il faut reconnaître que les responsables de la Commission n’avaient aucune expérience dans ce genre de négociation, et que les procédures administratives européennes ne sont pas adaptées pour passer rapidement de tels marchés. On ne le réalise pas assez : l’Europe est avant tout une organisation centrée sur le commerce, et chaque fois qu’elle veut traiter d’autre chose dans l’improvisation, comme les quotas d’immigration, elle fait des faux pas. Il est d’ailleurs contradictoire – mais les eurosceptiques ne sont plus à une contradiction près – de critiquer vertement l’Europe et en même temps de refuser de nouveaux transferts de compétences, au nom de la sacro-sainte « souveraineté nationale ». On oublie aussi qu’à l’été 2020, lorsqu’ont été passées les commande de vaccins, on n’avait pas la moindre idée de leur efficacité ni de leur innocuité car les essais venaient seulement de commencer. Il fallait donc passer le plus de commandes de chaque vaccin ou type de vaccin. Un choix que n’a pas eu à faire le Royaume Uni qui a tout misé sur son vaccin, développé par son labo AstraZeneca, avant même de connaître les résultats des essais, prenant un risque considérable.
Clive Hole remarque que l’Union Européenne a exporté 34 millions de doses y compris 9 millions de doses au Royaume-Uni, et 3.9 millions au Canada (source : The Guardian ). A ce jour, le Royaume uni a administré 24 millions de doses chez lui (source BBC), ce qui veut dire qu’ont été injectées 15 millions de doses d’AstraZeneca, alors que ce labo n’a fourni que 11,76 millions de doses pour TOUTE l’UE au 11 mars 2021 (source: European Centre for Disease Prevention and Control) (1). Par ailleurs, si le vaccin AstraZeneca a d’abord été recommandé pour les moins de 65 ans, c’est que lorsqu’il a été autorisé par les autorités de santé britanniques, il n’avait pas été testé sur cette tranche d’âge. Mais le gouvernement de Boris Johnson ne pouvait plus attendre tant la situation était catastrophique.
Que se serait-il passé si la Commission n’avait pas pris en charge cet achat commun des vaccins ? On aurait vu les pays membres se livrer à une course acharnée pour obtenir des vaccins. Les labos en auraient profité pour faire monter les prix – Israël paye la dose du vaccin Pfizer 47 $, soit plus de trois fois le prix négocié par l’Union (14,76 $) – voir l’article de Times of Israël en français – et plusieurs pays moins riches de l’Union n’auraient pas eu accès aux vaccins. Pour une fois, les États membres ont privilégié la solidarité. C’est tout à leur honneur. Comme c’est l’honneur de l’Union d’avoir autorisé l’exportation vers d’autres pays, contrairement aux USA, qui gardent tout pour eux, alors qu’ils sont les premiers producteurs mondiaux… Il faut aussi souligner que les pays membres n’étaient pas tenus de passer par la Commission pour commander des vaccins. La Hongrie de Viktor Orban ne s’est d’ailleurs pas privée de commander récemment des vaccins Spoutnik à la Russie… Si la plupart des pays membres ont respecté le plan européen, c’est aussi parce qu’ils y ont trouvé leur intérêt. Et si l’Agence européenne de Santé n’avait pas donné son feu vert, il aurait fallu que chaque pays donne le sien, ce qui n’était pas à la portée des petits pays. On a une petite idée de ce qui se serait passé si chaque pays avait joué son jeu perso avec la décision du Danemark et de la Norvège de suspendre la vaccination avec le vaccin AstraZeneca parce quelques personnes ont eu des complications vasculaires : dans la foulée, nombre de pays européens, y compris la France et l’Allemagne, s’y mettent aussi, principe de précaution oblige !!! On retarde ainsi la vaccination de plusieurs jours ou semaines, et on accepte donc des centaines ou des milliers de morts supplémentaires, pour éviter un risque minime et qui est très loin d’être avéré, sans compter l’argument d’attendre donné à tous ceux qui sont inquiets à l’idée de se faire vacciner avec un vaccin nouveau. Bravo à la Belgique qui refuse cet attentisme !
Car, il faut bien le reconnaître, les retards à la vaccination ne sont pas dus qu’aux erreurs de la Commission. Les lourdeurs administratives ainsi que le scepticisme envers les vaccins, particulièrement marqué en France, les incertitudes sur leur efficacité, notamment vis à vis des variants, ont aussi joué un rôle. Il est facile de critiquer la Commission. Il n’est pas du tout certain que la France seule aurait fait mieux, n’ayant pas de producteur sur le sol national. Car les décisions ont finalement été prises relativement rapidement. Voir l’article du Point du 10 nov. 2020 (accès libre)
Enfin le tableau que donne la BBC montre que la Chine et la Russie ont préféré exporter leur vaccin vers des pays comme les Émirats arabes Unis qui peuvent payer grassement et qui sont des cibles de leur politique d’influence, plutôt que de les affecter à leur population.
Je vous rappelle l‘article de Slate recommandé dans ma précédente lettre sur le sujet de l’Europe face à la vaccination, si vous ne l’avez déjà lu.
Si vous pensez que la Santé doit faire partie de la compétence permanente de l’Union, signez cette pétition lancée par Sauvons l’Europe.