Comment différencier un espagnol d’un catalan ?

A l’issue des élections régionales de décembre 2017, les partisans de l’indépendance de la Catalogne détiennent la majorité en sièges au Parlement mais Carles Puigdemont est à Bruxelles et Madrid continue d’exercer le pouvoir régional … On prend du recul.

Photo d'une manifestation en Catalogne

Protestations à Barcelone contre les violences policières à l’automne 2017, via Adolfo Lujan sur Flickr.

On a échangé avec François Zaragoza, binational français/espagnol et catalan, fils de réfugiés républicains espagnols en France, commentateur régulier du jeu politique ibérique et également Président du Mouvement Européen – Loiret. Il décrit l’indépendance de la Catalogne comme l’issue d’une surenchère partisane entre plusieurs forces politiques régionales.

François, est-ce que les catalans sont espagnols ?

Je vais te répondre par l’humour. Il y a dans mon bureau un dessin de presse avec deux personnages. Le premier lui demande : « Quelles sont les différences entre nous et les catalans ? ». Le second lui répond : « Aucune, mais ils ne le savent pas ».

Les catalans sont espagnols mais certains ne se l’avouent pas. Pourtant, il y a bien une langue catalane, je suis moi-même catalaniste. Je défends notre spécificité par rapport au reste de l’Espagne. Je défends la notion de nation catalane. Mais ce mot, « la Nació » en catalan, n’a pas la même signification qu’en français. C’est un ensemble de personnes qui se reconnaissent à travers des identités culturelles, linguistiques, historiques, … une communauté. Pour cette raison, les rédacteurs de la constitution espagnole de 1978 rappellent que l’Espagne est composée de Communautés (« Comunidades autónomas. » en Espagnol) et de nationalités, insistant sur la diversité populaire du pays.

Alors d’où vient cette poussée pour l’indépendance de la Catalogne ?

Je refuse que l’on dise : « la Catalogne souhaite être indépendante ». S’il y a une majorité parmi la population, elle est très faible. Par contre il y a un bloc, une très forte minorité, qui souhaite l’indépendance. Et le seul ciment de cette forte minorité est le mot « indépendance » avec des divergences quant à la mise en œuvre et le contenu de cette indépendance. On le voit aujourd’hui avec les dissensions qui lézardent le « bloc indépendantiste ».

« Le processus souverainiste est en fin de compte une « course à l’échalote » entre deux formations : la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) de centre-gauche et une force de centre-droit, la coalition Convergence et Union (CiU), qui a été majoritaire dès la première élection libre en Catalogne en 1979. »

La CiU a gouverné de manière presque ininterrompue tant que Jordi Pujol et son dauphin Artur Mas se sont maintenus à sa tête. C’étaient à l’origine des autonomistes, qui ont su utiliser le Statut d’Autonomie de la Catalogne pour obtenir de très grands transferts de compétences.

On doit par ailleurs constater que l’électeur catalan est un peu schizophrène. Jusqu’aux derniers scrutins, il votait à gauche aux élections municipales et législatives. Aux élections régionales, par contre, il votait plutôt pour les partis « catalans » et majoritairement au centre-droit. Face à la progression électorale constante du centre-gauche (ERC) Artur Mas a provoqué en 2012 des élections anticipées pensant assurer, voire conforter, la majorité absolue détenue par son propre parti.

Au cours de cette campagne, il a fait de l’indépendantisme son cheval de bataille, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Réunis par cette cause commune, les deux formations (CiU et ERC), en coalition sous la bannière « Ensemble pour le OUI », n’ont pas obtenu la majorité et ont dû accepter le soutien d’une coalition de gauche radicale, antisystème et indépendantiste, la Candidature d’unité populaire (CUP).

Et comment cette « course » s’est-elle conclue ?

Le dernier mandat (2015 – 2017) a relancé la « course à l’échalote », où chacun se veut plus favorable à l’indépendance de la Catalogne que le voisin. Ce fut un vaudeville digne des Pieds-Nickelés … mais avec des blessés, le 1er octobre lors de la tenue du « referendum d’indépendance » pourtant déclaré illégal par la Justice. Je suis contre l’indépendance – en tout cas déclarée de manière unilatérale – mais je suis scandalisé pas les violences policières qui ont eu lieu le jour du scrutin.

Bref, on en est arrivé aujourd’hui à l’activation de l’article 155 de la Constitution espagnole qui permet à Madrid de prendre en partie le contrôle de l’administration catalane. On peut critiquer cette mesure, mais on doit se aussi rappeler que les principaux rédacteurs de la Constitution espagnole de 1978 furent deux personnalités politiques catalanes, l’une de centre-droit, l’autre communiste ….. siégeant au Parlement espagnol !

Cette bataille politique se ressent dans la population ?

Il y une fracture en Catalogne sur le sujet au sein de la société et parfois des familles. Avec certains membres de ma propre famille, on ne se parle plus que du soleil ou de football. Alors qu’on a d’autres choses à se dire. Plusieurs de mes cousins m’ont reproché avec des mots durs mes prises de position contre l’indépendance de la Catalogne. Heureusement, pas tous !

Ce mouvement est pourtant un non-sens historique. La Catalogne n’a jamais été une entité géopolitique seule, indépendante, elle a toujours été unie par des liens forts au reste de l’Espagne, que ce soit à l’Aragon, à Valence ou encore à Majorque. Dans cette affaire,on réinvente l’Histoire des deux côtés pour des intérêts partisans.

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La fracture est profonde. Malgré tout, si tout nationalisme porte en lui les « germes de la pureté », je n’ai jamais ressenti de xénophobie en Catalogne. Mais la marge est étroite. Nous ne sommes pas dans une situation comparable à celle de l’Italie du Nord mais plutôt dans celle de l’Ecosse en 2014.