Manifestation de la Confédération Européenne des Syndicats à Budapest en 2011 via habeebee
Comment se déroule la réforme de la Directive sur les travailleurs détachés ?
Ce n’est pas un sujet nouveau, cela nous occupe depuis au moins 15 ans même si la Directive sur le marché intérieur a relancé le débat. La proposition lancée par la Commission européenne nous semble intéressante car elle améliore de manière tangible et immédiate la qualité de vie de ces travailleurs détachés, en particulier en matière de rémunération puisqu’ils seront dorénavant payés sur la base des conditions de rémunération des pays où ils exécutent leur travail.
Le Parlement et la Conseil de l’Union sont arrivés à un accord, cela est très positif même si certains secteurs comme les transports en sont exclus. Nous faisons d’ailleurs pression pour trouver une solution dans ce secteur où les conditions de travail rendent plus difficile le compromis.
Nous avons réussi à dépasser l’opposition systématique de plusieurs gouvernements, notamment d’Europe centrale, à toutes évolutions en matière de politique sociale
« Contrairement à ce que clame le gouvernement français, la période du détachement n’est pas tellement importante selon nous car pour une grande partie des travailleurs détachés, la période ne dépasse pas un an. Les conditions salariales nous semblent être bien plus nécessaires à traiter. »
Concrètement, quels sont pour vous les chantiers prioritaires pour l’UE en ce qui concerne le droit des travailleurs ?
La Commission s’est engagée en termes de droit sociaux notamment à mettre en place un socle européen des droits sociaux au sommet de Göteborg en Suède le 17 novembre dernier.
Pour les détracteurs, c’est plus de la communication qu’un réel progrès, à la CES nous nous sommes engagés en faveur de cette initiative. La crise de 2008 a amené à la dégradation des droits sociaux avec la pression sur les salaires qui en a résulté et qui persiste jusqu’à aujourd’hui notamment dans les pays du Sud de l’Europe. C’est la première fois depuis cette crise que l’on voit émerger un engagement pour l’Europe sociale. Tous les pays, même les plus libéraux, se sont engagés pour promouvoir les droits sociaux.
Même si cet engagement politique ne concerne que des droits qui sont pour la plupart déjà existants, nous profitons de cette dynamique pour avancer de nouvelles propositions sur le sujet des travailleurs détachés et au-delà. Cela fonctionne puisque la Commission européenne a produit récemment plusieurs propositions de législations européennes comme la Directive sur les conditions de travail transparentes par exemple qui précise l’ensemble des droits protégeant le travailleur.
Enfin, le train de mesure en faveur de l’équité sociale propose de créer une autorité européenne du travail et contient une recommandation sur la protection sociale.
« Nous savons que pendant le mandat actuel de la Commission Juncker et de ce Parlement européen, on a des chances d’arriver à l’adoption de ces projets. Débat au Parlement européen et discussions avec le Conseil européen, tout doit être terminé d’ici mai 2019 pour étoffer la législation en matière sociale. »
Dans le mandat suivant nous craignons d’avoir moins d’opportunités sur les questions sociales avec la montée de partis de droite peu sensibles aux questions sociales ou encore de partis populistes et anti-européens.
Comment faire converger les différents points de vue en représentant 89 organisations syndicales nationales ?
En premier lieu, on partage les mêmes objectifs, cependant trouver un point de convergence entre les différents points de vue n’est pas chose facile, comme dans toutes les organisations démocratiques. On passe donc par une phase de discussion, de dialogues, où nous nous efforçons de comprendre les divergences. On mobilise toutes les expertises disponibles, on réfléchit à ce qui est possible et ce qui est acceptable, ce qui existe déjà et ce qui est apprécié par le travailleur. Ce processus prend du temps et cela limite notre réactivité pour répondre à des attaques contre le niveau des salaires ou la protection des travailleurs.
Il faut peser le pour et le contre avant de se lancer dans une revendication, par exemple en matière salariale, il y a des compétences qui restent nationales (principe de subsidiarité oblige) et c’est difficile de revendiquer à l’échelle européenne des contraintes portant sur ce genre de compétence. On a cependant réussi à se mettre d’accord faire des propositions pour une intervention du niveau européen sur les salaires et la hausse du salaire minimum dans tous les États membres.
« Nous menons actuellement une campagne européenne sur la base d’un compromis où la mise en place de l’outil fixant le salaire minimum soit à construire dans chaque pays. L’idée générale de cette campagne, c’est de créer un mouvement de convergence entre les pays ou les salaires sont corrects et les pays ou les salaires sont beaucoup plus bas. »
Pour aboutir à ce compromis nous avons dû nous adapter aux pratiques nationales, nous n’avons donc pas porté de demande généralisée qui serait rendue obligatoire par la loi. Dans les pays nordiques par exemple c’est aux partenaires sociaux qu’il revient de demander un salaire minimum et non pas à la loi de l’imposer.