Italie : « Matteo Salvini joue sur l’opposition entre les classes populaires et les immigrés »

Sofia Ventura est professeur associé de Science Politique à l’Université de Bologne et auteur d’une étude intitulée « l’Italie aux Urnes » publiée par la Fondapol en février 2018. Elle revient pour Euroclic sur le positionnement de la Ligue et du Ministre de l’intérieur Matteo Salvini au sein de la coalition italienne formée avec le Mouvement 5 étoiles.

Illustration via Mitch Lensink sur Unsplash

Quelle est la stratégie de Matteo Salvini sur le dossier migratoire ?

Sofia Ventura : En tant que Ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini s’occupe essentiellement d’immigration. On a de nombreux problèmes de criminalité en Italie, mais c’est sur le dossier migratoire qu’il travaille en priorité. Il s’agit pour lui d’un enjeu symbolique.

Il a tout de suite pris des décisions très fortes, empêchant les navires d’organisations humanitaires d’accéder aux ports italiens, mais aussi plus récemment aux navires militaires étrangers. Une décision symbolique puisqu’il n’a pas la compétence nécessaire pour le faire, cela regarde les Ministres de la Défense et des Affaires étrangères, ce qu’ils lui ont fait remarquer. Il va au-delà de son champ de compétences pour envoyer un message à la population.

En Europe, il mène une politique d’alliance avec les pays où gouverne la droite et l’extrême-droite comme l’Autriche ou la Hongrie. Ces rapprochements vont certainement déboucher sur un conflit, comme le montre l’exemple de la gestion des flux migratoires à la frontière entre l’Italie et l’Autriche. On assiste là à une confrontation de volontés populistes, mais que l’on ne retrouve pas dans le discours du dirigeant de la Ligue, ni dans la perception que l’opinion publique a de son action.

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Sur le plan intérieur, Matteo Salvini a également remis en question les politiques d’accueil et d’intégration des immigrés sur le territoire italien. Il joue sur l’opposition entre les Italiens des classes populaires et les immigrés qui viendraient capter les ressources dont les Italiens ont besoin. “L’Italie n’a pas beaucoup de ressources et maintenant elle dépense ses ressources pour les immigrés” dit-il en substance. Cette rhétorique – promue de longue date par la Ligue – se transforme désormais en politique publique. M. Salvini a déjà annoncé qu’il souhaite transférer les fonds alloués à l’accueil des migrants vers les programmes de renvoi des migrants déboutés du droit d’asile.

« Le message de La Ligue du Nord a toujours été “les Italiens d’abord”. La question de l’immigration est d’abord comprise comme un conflit entre les migrants et les Italiens, et non pas comme un problème qu’il faut gérer. M. Salvini souhaite montrer sa volonté de mettre un “STOP” à l’immigration et satisfaire son électorat de la couche populaire. »

En tant que Ministre de l’Intérieur, il pourrait aborder d’autres questions liées à l’immigration, comme celle des enfants migrants disparus sur le territoire. Ou alors l’exploitation des migrants dans les campagnes ou les réseaux criminels, il s’agit presque ici d’une question d’esclavage. M. Salvini n’a jamais parlé de la migration sous l’angle de la protection des immigrés qui sont sur le territoire. Ça ne l’intéresse pas. Il préfère dire “nous aiderons les migrants chez eux”.

Comment fonctionne la coalition italienne ? Vu de France, on entend surtout les déclarations de Matteo Salvini …

S.V. : Il n’y a pas de vrais contrepoids au Ministre de l’Intérieur sur la question de l’immigration. C’est lui qui construit l’agenda public et fixe les termes du débat. Son allié du Mouvement 5 étoiles le suit, manquant de son côté d’une ligne claire sur ce dossier.

Le Mouvement 5 étoiles est une boîte vide, c’est une machine à construire du consensus. Cependant, certains responsables du M5S essaient de prendre position contre le Ministre de l’intérieur, comme Roberto Fico, le Président de la Chambre des députés. Mais il n’a pas le pouvoir d’influencer la ligne politique du Gouvernement. M. Salvini est omniprésent à la télévision, sur le web : il est partout. Son effort de communication est intense et vise à établir son rôle central.

Sur le plan économique, il y a au sein du Gouvernement une position bien plus équilibrée que sur le plan migratoire, grâce notamment au Ministre de l’Economie, Giovanni Tria. Le M5S se positionne à gauche, avec des propositions économiques impliquant un fort interventionnisme de l’Etat. Ces positions sont maintenues “sous contrôle” par le Ministre de l’économie, qui est à la fois proche de l’économiste anti-euro Paolo Savona – devenu Ministre des Affaires européennes – et sur une ligne économique équilibrée.

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Enzo Moavero, le Ministre des Affaires étrangères, est lui aussi un technicien. En parlant de contrepoids, on décèle une entente entre le Ministre de l’Economie, le Ministre des Affaires étrangères et le Président Sergio Mattarella pour maintenir ce Gouvernement sous contrôle. C’est presque un contrepoids institutionnel.

Enfin, le plus intéressant dans cette histoire c’est qu’on ne parle jamais du Premier Ministre Giuseppe Conte. Il est totalement absent sur le plan national, on ne le voit jamais, on ne parle jamais de lui, même dans les journaux télévisés, sauf sur le plan européen. En Italie, les déclarations de M. Salvini ne sont jamais suivies d’une déclaration de M. Conte, qui lui laisse le dernier mot.

Qu’est devenu le programme économique du Mouvement 5 étoiles ?

S.V. : Luigi Di Maio a annoncé un « décret dignité » pour venir en aide à la partie la plus pauvre de la population italienne. Son projet est en discussion au Parlement. Il semble que certaines dispositions voulues au départ – comme une nouvelle réglementation sur les travailleurs indépendants ou une modification des normes appliquées au contrat de travail – semblent être déjà remises en question.

Pour Luigi Di Maio, il s’agit d’un enjeu symbolique, comme pour Matteo Salvini sur l’immigration. Face à la Ligue, il est s’efforce d’attirer la lumière car pour l’instant c’est le Ministre de l’Intérieur qui demeure au centre du débat public. Ce qui tient aussi à leurs personnalités : Matteo Salvini est très charismatique et Luigi Di Maio paraît avoir une personnalité moins affirmée. Pour compenser, il travaille sur le plan économique.

Quels résultats laissent entrevoir la situation politique italienne aux élections européennes de mai 2019 ?

S.V. : Si aucune perturbation majeure n’apparaît, on peut prévoir une victoire de la Ligue. Les sondages donnent déjà le parti populiste à 28%, ce qui la place très proche du M5S et de ses 29%. La Ligue gagne presque 10 points dans les sondages vis-à-vis des résultats des élections du 4 mars, aux dépens de Forza Italia et du Parti nationaliste Fratelli d’Italia.

On peut supposer que l’Italie contribuera fortement à l’entrée des forces populistes au Parlement européen. On a du mal à imaginer un retour en grâce des forces traditionnelles d’ici l’année prochaine.